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Moustache Football Club, réflexion et analyse sur l'actualité du football.

Pourquoi je ne crois plus au combat des supporters

Pourquoi je ne crois plus au combat des supporters

Après l'échec de la voix douce menée via les assises du supportérisme, les représentants de ces mouvements ont donc décidé de mener les instances dirigeantes à renouer le dialogue via le cadre légal. Et si la crédibilité des supporters passait également par leur importance économique ?


Avant-propos

J'anticipe les remarques d'un certain nombre d'esprits chagrins visant à refuser le débat concernant le consensus autour du supportérisme depuis quelques mois maintenant. Fidèle observateur du supportérisme, J'anticipais déjà en 2011 que le plan Leproux était un laboratoire de ce qui attendait le football français. Il ne s'agit pas ici de remettre en cause l'action honorable du CNSF mais d'exprimer un certain nombre de craintes liées au contexte actuel.

Depuis quelques années déjà, nous appelions de nos vœux la création d'une entité nationale représentant le mouvement supporteriste. Aujourd'hui, cette volonté de se fédérer existe à travers le conseil national des supporters de football (CNSF) et l'Association Nationale des Supporters (ANS). Le CNSF est calqué sur le modèle de Supporters Direct Europe (SDE), l'ambition est de développer l'actionnariat collectif, permettant aux supporters de disposer d'un droit de regard sur les décisions du club. L'ANS a pour objectif de se concentrer sur les problématiques d'accueil, de sécurité et de gestions des fans de football. On ne peut que se féliciter de ces initiatives qui démontrent une véritable prise de conscience des associations, laissant de côté leurs différents et leurs rivalités afin de porter un discours commun.


Suite aux assises du supportérisme en France tenues le 11 février dernier, les instances dirigeantes, FFF et LFP, ont boudé cette manifestation, ne se satisfaisant pas de la création de ces structures et arguant qu'aucune n'est réellement représentative de cette mouvance qu'est le supportérisme. Une remarque ubuesque lorsqu'on sait que la réponse a été formulée de manière collégiale par deux instances qui ont des rôles clairement définis...comme c'est le cas pour le CNSF et l'ANS. La contre-attaque s'organise puisque c'est sur le terrain légal que les supporters souhaitent faire entendre leur voix. En œuvrant dans les arcanes des chambres parlementaires, les deux associations souhaitent imposer par la force de la loi la nécessité d'un dialogue et la représentativité des associations au niveau national et au niveau des clubs.

Suffisant ?

Selon moi non.

L'absence d'argument économique

Si le football n'est qu'une simple composante du spectacle audiovisuel, à l'inverse, la télévision est le pilier de l'économie du football. Cette mainmise sur ce sport a conduit à concentrer plus de monde dans son canapé les soirs de matchs que dans les gradins des stades. Partant de ce postulat, on comprend très bien que les dirigeants du football professionnel (LFP ou même présidents de clubs) trouvent léger que les arguments avancés par les supporters se résument à s'autoproclamer garants de l'histoire du club, une histoire souvent fantasmée et où la mémoire sélective fait la part belle au corpus de valeurs que les supporters souhaitent défendre (voir notre article réalisé sur la psychologie du supporter lensois).

Nous n'avons eu de cesse de nous intéresser à la spécificité culturelle que représente le milieu du supportérisme. Isolé dans un monde qui fait la part belle à l'individu et qui rejette tout phénomène de groupe, le supporterisme se traduit en France par une volonté farouche d'exister dans le débat public, face à des acteurs locaux et des instances dirigeantes qui voient d'un très mauvais œil toute forme de regroupements d'individus disposant d'une conscience collective. Mais quid de l'impact économique des supporters ? La réponse est délicate à formuler. Il n'existe pas de littérature ou études permettant de quantifier le bénéfice de disposer d'un noyau solide de fans. Bastien Drut s'est attardé succinctement sur cette question au sein de son ouvrage "L'économie du football" sans toutefois établir un argumentaire solide en faveur des supporters.

Pire, en accordant des tarifs avantageux aux associations de supporters, il est rapide d'estimer que les clubs perdent plus d'argent avec ces associations qu'ils n'en gagnent.

Le supporter, ce consommateur captif

Plutôt que de s'attarder sur une prétendue exception culturelle du supporter, il faut plutôt s'interroger sur l'exception économique qu'il représente : il est impossible pour les supporters mécontents des résultats sportifs de leur club ou en désaccord avec la direction de ce dernier d'adopter un comportement classique de consommateur insatisfait : céder aux appels de la concurrence. Par exemple, un supporter lensois en désaccord avec la politique de son club ou insatisfait des résultats sportifs ne deviendra jamais supporter du LOSC.

Le plus fidèle des fans d'une équipe peut donc être considéré comme un consommateur captif. Si j'étais mauvaise langue, j'estimerai qu'un fan de football n'est pas très différent d'un utilisateur de produit Apple : une fois hameçonné, il lui apparaît compliqué de se positionner en faveur de l'offre de la concurrence compte tenu de l'investissement antérieur effectué. Pour ceux que cela intérresse, je vous invite à faire quelques recherches sur le concept d'élasticité en économie : étrangement en football, une augmentation importante du prix d'entrée au stade n'a que peu d'incidence sur la fréquentation des tribunes.

Ce constat réduit considérablement les leviers d'actions permettant de faire pression sur les clubs et la LFP car même s'ils s'avèrent en conflit avec les instances dirigeantes, ils n'en resteront pas moins des consommateurs du spectacle produit par leur club.

La révolution marketing du football est en marche

A caractère exceptionnel du consommateur de football, démarche exceptionnelle ? Et bien non. On serait même tenté de répondre démarche inexistante. Malgré le potentiel économique que représente le football, le développement du marketing sportif reste à l'échelle embryonnaire, et particulièrement en France. Mis à part le Paris Saint-Germain, les clubs de foot hexagonaux sont à la traîne sur ce sujet, la faute à un modèle économique essentiellement tourné vers l'acquisition des droits TV et à l'absence de cellule marketing au sein des clubs. Sauf que l'absence de réflexion marketing semble avoir vécu et cela concerne bien entendu les revenus générés par la billetterie. Nombreux sont les entreprises à s'interesser au développement du marketing sportif en France et nombreux sont les clubs à faire appel à leurs services. A l'instar de l'hotellerie ou du transport aérien, le yield management arrive dans les stades. Cette technique consiste à optimiser le chiffre d'affaires d'une entreprise de services en recalculant fréquemment le meilleur prix de vente d'un produit ou d'un service. Or, la segmentation des droits d'entrée dans les stades reste assez classique : répartition des prix selon la place en tribune, pondérée par l'importance du match (match de gala, affiche européenne, match de coupe, match de championnat, etc. etc.). Le yield management n'est qu'un exemple de technique commerciale présente dans de nombreux domaines d'activité mais totalement absente de nos billetteries. Mais jusque quand ? Citons également le potentiel économique que représente les techniques de cross-selling, le développement du webmarketing ou l'avènement de la Big Data pour segmenter au mieux sa clientèle et vous pouvez alors comprendre que le développement du marketing en football n'en est qu'à ses balbutiements et que cela se fera forcément au détriment du supporter, peu enclin à céder aux sirènes du mercantilisme, refusant de se considérer comme un consommateur de spectacle. Egalement, ces stratégies marketings auront pour objectif de remplir au maximum les enceintes, celà à des prix bien plus onéreux que ceux pratiqués à l'égard des supporters. 

Le couperet Euro 2016

Avec l'approche de l'Euro 2016, le timing ne joue pas pour les associations. L'ensemble des acteurs institutionnels concernés est en rang d'oignons afin d'offrir le meilleur accueil possible aux millions de supporters attendus. Cela impacte de deux manières les associations : la première est la redistribution des cartes suite à la rénovation des enceintes. En enclenchant d'importants travaux, les clubs peuvent se permettre de replacer les associations à des places moins avantageuses qu'auparavant. A ce sujet, le retour d'expérience de Le Mans FC est éloquent. La seconde conséquence est la nécessité qu'ont les organisateurs à prouver dès aujourd'hui que la manifestation se déroulera dans un contexte apaisé et sécurisé, la répression étant mise en avant, pour l'éducation et le dialogue, on verra ensuite.

A cela on pourrait ajouter l'amortissement des enceintes qui aura une incidence sur le prix du billet moyen et qui conduira inexorablement à la gentryfication des tribunes. Force est de constater que si cet événement international nous est vendu comme une chance pour la France et son économie, il y'a fort à parier qu'elle aura plus de conséquences négatives pour les associations que de retombées bénéfiques.

Quel soutien des élus ?

En se déroulant dans le Palais du Luxembourg, les assises du supporterisme bénéficie d'un bon coup de communication : montrer la volonté d'institutionnaliser leur démarche. Une volonté qui passe nécessairement par l'appui des élus de la République. Etaient présents François de Rugy (député EELV), Ronan Dantec (Sénateur EELV), Marie-Georges Buffet (Députée PCF), Dominique Bailly (Sénateur PS) et Nicolas Dupont-Aignan (Député DLF). L'allocution d'ouverture fut effectuée par l'actuel Secrétaire d'Etat aux sports, Thierry Braillard. Les deux membres du PS présents ce jour-là sont sensibilisés à la cause du supporterisme de par leur proximité avec le Racing Club de Lens, les deux membres d'EELV le sont de par leur proximité avec le FC Nantes. Marie-Georges Buffet est certainement le Ministre de la jeunesse et des sports la plus compétente de ces dernières décennies. Mais quid de la majorité des autres élus qui acceptent délibérement les interdits de déplacement ? Quid du silence des gouvernements successifs sur la question du supporterisme ? A quoi tient le désintérêt politique sur cette question en France ? Certainement à un positionnement désuet à gauche mais peut être également au particularisme républicain : attribuer une identité spécifique au supporter n'est-il pas une forme de communautarisme, terme abject chez chaque individu de la classe politique française ?

Le supporter-consommateur comme seul salut ?

Le supporter doit cesser de se considérer comme une exception culturelle, garant d'un corpus de valeurs qu'il fantasme dans une société de plus en plus marchandisée. A mon sens, les associations de supporters peuvent gagner en crédibilité en prouvant le réel bénéfice économique qu'elles apportent. Pour cela, deux pistes de réflexion doivent être tenues :

- S'atteler à la création de solides bases bibliographiques à l'échelon européen prouvant l'impact économique de la présence de fans au sein d'un stade.
- En l'absence de tels documents à l'échelon national, s'engager dans la réalisation d'un audit permettant d'estimer les externalisations économiques positives de la présence de supporters : Quel est le degré de consommations de produits dérivés d'un membre d'associations ? Quelle consommation engage-t-il une fois au stade (restauration, boisson) ? Également, que consomme-t-il aux abords du stade ? Quelle influence sur l'économie locale les soirs de matchs ? L'animation des tribunes n'est-elle pas un élément important de la communication d'un club ? Quel engagement ces associations ont-elles sur les réseaux sociaux et comment cela profite à la communication globale des clubs ?

Dans l'optique de gagner en crédibilité, il convient à ces représentants du supporterisme d'engager cette démarche visant à faire reconnaître le véritable impact économique des fans. L'argumentaire socio-culturel et maintenant légal semblent vains dans un contexte footballistique où la recherche de profit est le principal moteur. Il faut également souligner que les clubs de football français, soutenus dans leurs démarches par la LFP, présentent des modèles économiques particulièrement bancals : recette à la billetterie hiératique, plus de deux-tiers du chiffre d'affaires est réalisé par l'attribution des droits TV, communication digne d'association de quartier...

Si les clubs se permettent de donner des leçons de responsabilité et de civilité aux supporters, il est peut être temps de les devancer en prouvant que les associations de supporters sont plus structurées et motivées qu'il n'y paraît non ? :)

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