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Psychanalyse du supporter lensois - 1ere partie

Psychanalyse du supporter lensois - 1ere partie

Affublé du titre de meilleur public de France, les fans lensois détonnent dans le paysage du supporterisme français par leur ferveur et par leur fidélité et cela en toutes circonstances. Une force qui se base sur le poids de l’histoire mais également sur une part d’imaginaire fantasmé.

Comprendre le sentiment particulier qui habite le supporter lensois, c'est d'abord balayer plus de 100 ans d'histoire du club.

Contrairement à l'idée reçue, le Racing est une création des établis de Lens, le Racing club lensois est conçu comme un moyen de resserrer les liens des familles de notables du centre-ville. La municipalité, dont les membres côtoient l'élite dirigeante du RCL, soutiendra le club jusqu'au début des années 30 et la crise économique. Le Racing est alors l'incarnation d'un groupe particulier qui se définit très largement contre l'identité minière.

Il faut donc attendre 1934 et l'emménagement au stade Bollaert, enceinte sportive édifiée par la société des Mines de Lens pour que celle-ci prenne le contrôle du club. À travers le spectacle du football, il s'agit d'effectuer la promotion de l'adhésion aux valeurs symbolisées par l'équipe, reflétant la vitalité de l'entreprise et le ralliement des ouvriers à ses dirigeants. Le RCL est également perçu comme un outil d'éducation et de contrôle social de la classe ouvrière : en plaisant à son personnel, le football éloigne ses ouailles de l'alcool et de la politique.



Le site du stade Bollaert à sa construction en 1932  (crédit photo : www.rclens.fr)


L'après-guerre va voir émerger une autre forme de rapport conflictuel lors des grandes grèves de 1948-1949. La sociétés des Mines doit alors faire face à la montée du Parti Communiste Français (PCF) qui voit dans le RCL le club des galibots footballeurs et des supporters mineurs. Cependant, les tribunes de Bollaert sont loin de constituer un formidable potentiel électoral, le monde ouvrier qui peuple la “tribune est” de l'époque n'adhère pas dans sa globalité aux idées du PCF, reflétant la diversité politique du bassin minier qui s'est toujours partagé entre socialisme et communisme. Si les intérêts du PCF et de la direction de la société des mines sont aux antipodes, les supporters lensois sont perçus de manière similaire par les deux camps : le reflet d'une classe ouvrière qu'il faut éduquer, politiquement pour le PCF, sous couvert de contrôle social pour la société des Mines.

Si la politisation des tribunes de Bollaert ne prend pas, cela n'empêche pas l’identification des supporters lensois à la classe ouvrière. Le climax est atteint lorsque le club affronte le Lille OSC durant la finale de la coupe de France 1948. Cet événement est d'une certaine manière fondateur de l'identité ouvrière du Racing car il oppose au regard de l'ensemble du pays le talentueux club de la bourgeoisie lilloise à celui de la vaillante équipe de la cité ouvrière du bassin artésien. Cette opposition que l'on retrouve également dans la rivalité opposant Lyon à Saint-Étienne se perpétue encore aujourd'hui dans les discours : si Lens ne bénéficie pas des joueurs les plus techniques et talentueux, le club peut tout de même compter sur un état d'esprit mêlant abnégation et courage, à l'image des mineurs que le club est censé représenter.

(Crédit photo : www.info-stades.fr)

Dans les années 50, soit un demi siècle après sa création, le Racing Club de Lens devient véritablement le club des gueules noires : celui où des mineurs viennent voir jouer des mineurs. Cette représentation tenace encore aujourd'hui n'est pas tout à fait vrai : très peu de joueurs en activité à l'époque "descendent". Ils sont cantonnés au poste d'électriciens ou de techniciens "à la surface". Pour la petite histoire, Raymond Kopa - que le RCL n'a pas détecté lorsqu'il jouait à Noeux-les-Mines - décida de jouer au football car il avait une peur bleue de la mine suite à un accident. Sa qualité balle au pied lui assurait un poste d'électricien en surface.

À la fin des années 60, l'activité liée à l'extraction de houilles commence à diminuer, ce qui se ressent dans l'influence qu’a la compagnie sur le Racing. Les difficultés financières impactent le club de foot qui perdra son statut professionnel en 1968. Une fois de plus la municipalité viendra à la rescousse,sous l'impulsion du maire André Delelis. La municipalité n'a jamais été très loin du club, comprenant l'intérêt du football dans la communication territoriale. Petit à petit, le club devient le représentant d'une région et non plus uniquement celui de l'activité minière. Les valeurs d'abnégation et de solidarité du milieu minier se mêlent aux valeurs qu'on assimile aux gens du nord : convivialité et gentillesse.


On le voit au travers de son histoire, la construction du Racing ne peut se cantonner à la seule activité minière. Rouage essentiel du contrôle social de la société des Mines, le club a connu un avant et un après qui ne doit être occulté pour comprendre ce qui fait la spécificité du supporterisme lensois. Marqueur d'une forme de lutte des classes, les tribunes lensoises rejouent perpétuellement les conflits qui se jouent au fil de son histoire : ville contre mines, mines contre PCF, supporters contre dirigeants, l'histoire du RCL est un rapport de force constant. Cette tension a eu des incidences au sein même de la Marek (le kop) puisqu’au début des années 90, l'émergence du mouvement ultra en France et la fondation des Red Tigers conduit à rejeter le Supp'r'Lens, association de supporters créée par le club à l'époque des Mines. Réel, exagéré ou fantasmé, le corpus de valeurs auquel s’identifie le supporter lensois tient ses origines de cette évolution historique du club.
 

Demain, suite et fin de Psychanalyse du supporter lensois : du statut de fidèle à celui de martyr.
 

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Ces rapports de force sont très biens détaillés dans le livre de Marion Fontaine, le Racing Club de Lens et les "gueules noires"...
Sympa la légende de la carte postale, mais la réalité c'est que c'est le Lille OSC qui a remporté la coupe en 48, sur un score inverse (but de Vandooren et doublé de Baratte). Mais bon peut être que dans son inconscient, le supporter lensois pense avoir vu son équipe remporter un jour une coupe de France...
Michaël B.
15 Octobre 2013
Ah oui dis donc Fred, je n'avais pas fait attention à cette légende ! Bien vu :-o