Psychanalyse du supporter lensois - 2eme partie
Deuxième article traitant de la spécificité du supporterisme lensois où - après avoir abordé le poids de l'histoire chez les Sang et Or - nous traiterons des conséquences de cet héritage sur la manière dont les supporters artésiens se perçoivent et sont représentés. Une ferveur quasiment religieuse qui confère parfois au fan lensois le statut de martyr.
Les années 80 : sacrifice et régionalisation
Les années 80 constituent une décennie charnière pour les supporters du club. La disparition de l'activité d'extraction de houilles va considérablement modifier le paysage social du bassin minier. Quasiment mono productif, le territoire voit son chômage exploser. La décision centrale visant à privilégier des énergies moins coûteuses (pétrole, nucléaire) semble inacceptable à l'échelle locale et renforce le sentiment puissant que le bassin minier a été sacrifié.
Imaginez ce qui se passe dans la tête du supporter lensois : tout est à reconstruire, tant au niveau professionnel qu'au niveau de son club aimé. Cette impression d'abandon et de misère est encore très prégnante dans les discours des journalistes mais également dans celui des supporters.
L'activité d'extraction de houille fut particulièrement localisée dans la région Nord Pas ce Calais. Et pourtant, ce ressenti de sacrifice est commun à l'ensemble des Nordistes, et celà même avant la crise. Souvenez-vous de la réponse du club à l'encontre de Roland Courbis en 1998, alors entraîneur de l'OM. Ce dernier refuse d'aller jouer un match de coup de France à Lens en hiver, de peur de voir "pingouins" sur la pelouse de Bollaert.
Face caméra de FR3, un des membres de l'équipe dirigeante du club (malheureusement mon souvenie est flou, je ne saurai dire précisément qui est l'auteur de cette remarque) indique en substance que Rolland Courbis devrait avoir un petit peu plus de respect à l'égard des gens du Nord qui "ont chauffé le cul du reste de la France" durant des années. Une fois de plus, le rappel fait honneur au passé industriel et au sacrifice des travailleurs lensois.
On se rappelle également de la merveilleuse communion qui vient sceller la remontée du Racing et de la très bonne saison de Boulogne sur Mer en Ligue 2 en 2008 (Les Littoraux ne sont pas encore sûrs d'être en Ligue 1 la saison suivante). Une union sacrée autour d'un sentiment d'appartenir à la même culture, cela même alors que le Nord Pas de Calais, contrairement à d'autres régions françaises n'a jamais mis en avant de quelconques vélléités independantistes.
Cette reconnaissance dans le club alors qu'on n'appartient pas au bassin minier donne une couleur particulière mêlant les valeurs d’abnégation et de solidarité qui collent à l’image du monde minier et celles d’accueil et de chaleur que l’on attache aux gens du Nord. Un dévouement sans failles aux couleurs du club qui pousse sur la route des centaines de supporters artésiens en déplacement et qui s’associe donc à une image de supporters sympathiques, où Bollaert apparaît comme une étape sans danger pour les supporters extérieurs.
La revanche du 9 mai 1998
L’arrivée de Gervais Martel - qui nécessiterait presque à lui seul un paragraphe entier tant son image de dirigeant humaniste rappelle celle du paternalisme à la Fourrier - va propulser le club sur le devant de la scène hexagonale. Le club s’installe au début des années 90 comme une valeur forte du football français jusqu’à cette saison 1997-1998 où le club décroche pour la première fois de son histoire le titre de champion de France. Cette liesse populaire qui pousse 30.000 âmes à accueillir ses héros à 3 heures du matin à Bollaert est une forme de revanche à multiples facettes.
Le Racing Club de Lens au Stade de France, lors de la finale de la coupe de la Ligue de 1999 (crédit photo : www.rclens.fr)
Revanche sportive d'abord puisque le Racing a souvent joué les seconds couteaux au fil de son histoire. Cette victoire est celle d’hommes de terrain qui représentent bien les valeurs soutenues par les supporters : aucune star, un mental de bûcherons et des joueurs historiques du club (Wallemme ou Sikora pour ne citer qu’eux). Mêlant la filière africaine du club et les "locaux" d'origine polonaise. Revanche sociale ensuite. Le titre est un véritable pied de nez aux gros de l’époque, PSG, Marseille ou Nantes, symboles d’un football des grandes métropoles régionales en opposition aux agglomérations industrielles que sont Metz et Lens.
Si pour beaucoup cette victoire est porteuse d’espoir et de perspectives heureuses pour le club, elle est également une certaine forme de chant du cygne. C’est ce que pense en effet Marion Fontaine, sociologue et auteur de “Racing Club de Lens et les gueules noires, essai d’histoire sociale”. À l’orée du XXIeme siècle, les stigmates que l’activité minière a porté au paysage s’estompent, les corons (habitations minières regroupées en cité) sont réaménagés ou détruits, les terrils sont nivelés ou convertis en site de protection naturelle ou en lieu de loisirs.
Seule la fosse 11-19, son chevalet et ses deux terrils jumeaux agissent comme des landmarks signalant l’entrée dans la capitale des Mines. Les jeunes générations qui peuplent les tribunes n’ont pas connu l’activité minière, ce qui ne les empêchent pas d’en faire souvent références dans leurs chants et encouragements (“les corons”, “et nos grands-pères étaient mineurs et déjà fiers de leurs couleurs”). Cette présence forte du club est d’autant plus importante aujourd'hui compte tenu du déliement du lien social qu’a provoqué la disparition de l’activité minière et de l’ensemble de ses outils de contrôle social. Le Racing Club de Lens, immuable, continue à être un vecteur de création de lien, comme à l’époque où il était un objet du paternalisme minier.
Parallélement, le fan artesien se sent dans l'obligation de participer à la patrimonialisation de la région et plus particulièrement du bassin minier. De par son soutien indéfectible, le supporter pérennise l'héritage qu'on lui a transmis. Le supporterisme lensois est un devoir de mémoire.
Des gueules noires au pain noir
Si les années 90 et le début des années 2000 sont une période relativement bonne pour le club, ce dernier ne semble pas digérer le tournant que prend le football à partir du XXIeme siècle, celui qui se gave des droits TV, où les participations à la Ligue des Champions sont indispensables et où l’on spécule sur un joueur plus qu’on ne le transfère. De valeur sure de la Ligue 1, Lens devient une équipe médiocre de Ligue 2. Depuis cinq ans, les gueules noires mangent leur pain noir. Après des années de soutien à une équipe compétitive, le supportérisme lensois se voit obligé de donner sans retour. Un soutien difficile qui pousse parfois à s’interroger sur ses motivations. Derrière les errances sportives du club viennent se greffer d’autres évènements qui renforcent l’impression de victimisation qu'endossent parfois les supporters lensois.
Un supporter lensois envahit le terrain pour montrer son insatisfaction des résultats sportifs du club en 2010-2011
Il y a d’abord eu cet épisode de la banderole en 2008. 5 ans se sont écoulés depuis la banderole du PSG et ce sentiment de revanche inassouvie est encore prégnant. Il est d’autant plus fort qu’il s’agit d’une finale perdue et qu’elle précède de quelques semaines la relégation. Il y a surtout l’impression que les supporters lensois n’ont pas pu prendre leur revanche sur le club parisien et sur leurs supporters depuis. Persona non grata partout en France, les fans de la capitale le sont d’autant plus à Bollaert.
A un degré moindre, le développement du LOSC alors que le club artésien est au plus mal est également mal vécu, le club des Flandres volant petit à petit la place de numéro 1 dans le classement des clubs préférés des Nordistes.
Une radicalisation dans l’air du temps
Les supporters s’opposent aussi à la banque du Crédit Agricole qui maintient à flot le club dans l’attente d’un repreneur. D’un club dirigé par Gervais Martel et sa volonté de donner une image familiale, le RCL plonge dans l’expectative quant à son avenir avec à sa tête une direction aussi éphémère que dématérialisée.
En filigrane, l’émergence du mouvement ultra dans les tribunes françaises conduit les supporters à organiser la défense de leurs intérêts face aux médias, cela afin d’éviter la tenue des matchs le week-end. Si cette tendance à la radicalisation des tribunes est générale, la volonté d'être les héritiers des valeurs des travailleurs miniers donnent aux supporters lensois une couleur particulière; le bagage historique et de valeurs auquel ils font constamment référence peut en effet donner une forme de légitimité à leur revendication.
Au final, c’est dans son ensemble que le soutien au club s'est radicalisé. Contre le Crédit Agricole, contre le foot business, contre les équipes rivales, voire même contre l'équipe qu'ils soutiennent et qui ne leurs ressemble plus, le peuple sang et or se suffit à lui-même.
On vient à Bollaert parce que l’on est supporter lensois, pas lensois
“Dans le malheur ou dans la gloire, on est là” clame la foule sang et or et c’est en cela que le soutien lensois est si particulier. Les bons résultats sportifs donnent une intensité aux encouragements certes, mais ils ne sont pas nécessaires à la présence d’un noyau de soutien important à chaque match. De par le partage de valeurs communes, d’un héritage historique lourd et d’une relative homogénéité sociale et économique, le supporter lensois répond à la définition de conscience de classe.
Si l’on en croit la définition de Georg Lukacs dans “Histoire et conscience de classe”, elle renvoie à une certaine conscience de ce qu’elle peut accomplir. Point de politisation du kop cependant, les supporters s’y refusent. L'arrivée d'un nouvel investisseur d'origine azerbaïdjanaise n'a d'ailleurs suscité aucune remarque, qu'elle soit liée à sa nationalité ou à la sulfureuse réputation d'Hafiz Mammadov. Le seul intérêt défendu par les supporters est l’intérêt du supporter. Cela se traduit par la défense des prix d’accès, par la défense de la place spécifique qu’occupe le kop (dans la tribune longeant le terrain) ou par le rappel des valeurs que le club ou les joueurs ne respecteraient pas. Cette conscience d’un collectif est une force qui pèse dans les décisions du club. Et c'est certainement pour cela que le public est aussi respecté par la direction du club.
Le kop des Sang et Or dispose d'une image de marque qui façonne l'image que l'on a du club. Les directions qui se sont succédées ont parfaitement compris l'intérêt commercial à jouer sur ce ressenti.
L'atypisme du R.C.Lens réside aussi dans ce paradoxe. Souvent raillé pour son archaïsme, le public lensois apparaît en avance sur les relations qu'il entretient avec la direction, évitant les menaces qu'elles soient liées à l'augmentation du prix des places ou du déplacement de son kop dans les virages. C'est parce que ce dernier s'est souvent montré intraitable sur les valeurs qu'il défend, uni et toujours présent que le rapport de force avec la direction est pacifiée. A l'heure où les liens se distendent entre supporters et dirigeants d'autres clubs, le R.C.Lens peut se targuer d'avoir su préserver cet équilibre.
Une force qui donne à Bollaert sa couleur unique, entre chaleur dorée et complaintes rappelant le sang versé. Une force que chaque génération se transmet en ne se souciant que d'une chose : le sentiment d'appartenir à un ensemble que l'on n'explique pas, d'extrêmement puissant et qui puise son énergie dans le malheur ou dans la gloire. Oui, on est là.