Peut-on cesser d'être supporter ?
"On peut changer de femme mais on ne peut pas changer de club de football" dit le proverbe anglais(*). Il est vrai. Mais si tout amateur de football ne commettra jamais le pêché de supporter une équipe rivale on peut s'interroger sur la lassitude qui peut les gagner lorsque tout ne se passe pas comme prévu. Peut-on cependant cesser de supporter "son équipe" ? Le Moustache Football Club est allé à la rencontre d'un supporter parisien et d'un supporter nantais pour voir comment ils vivaient leur passion dans un contexte tumultueux.
"On peut changer de femme mais on ne peut pas changer de club de football" dit le proverbe anglais(*). Il est vrai. Mais si tout amateur de football ne commettra jamais le pêché de supporter une équipe rivale on peut s'interroger sur la lassitude qui peut les gagner lorsque tout ne se passe pas comme prévu. Peut-on cependant cesser de supporter "son équipe" ? Le Moustache Football Club est allé à la rencontre d'un supporter parisien et d'un supporter nantais pour voir comment ils vivaient leur passion dans un contexte tumultueux.
- Le supporter nantais : Côme, qui opère sous le pseudonyme de Jean Colère au sein de l'académie Bundesliga des potos de www.horsjeu.net.
- Le supporter parisien : Jérôme Reijasse, journaliste, qui a notamment écrit l'ouvrage "Parc - tribune K - bleu bas" et que vous pouvez retrouver sur le blog satirique africain : Grigri international
(*) : réplique que j'ai honteusement piquée à Flo.
Un processus du deuil appliqué au football ?
Comment se traduit ce sentiment de lassitude qui peut gagner certains supporters ? Il y a d'abord la surprise, un jour, d'avoir oublié que votre club joue ce soir-là. Alors qu'il est souvent l'épicentre de votre attention en fin de semaine, le match se fait oublier, se diluant dans vos autres centres d'intérêt.
Ce ressenti est assez proche du processus du deuil . Après le choc, les premiers sentiments sont le déni et la fureur. Il n y a qu'à voir ces images de supporters en colère aux abords des centre d'entraînement ou dans les tribunes lorsque leur équipe est au plus mal. À la phase passionnelle succède un raisonnement à froid, l'acceptation de l'évènement, la colère laisse place à une certaine nostalgie. Celle des belles saisons.
Dans mon cas, il est intéressant de constater que si l'abattement, l'étonnement et la colère se sont appliqués lors de la première relégation du RC Lens en 2008, il n'en est rien lors de la seconde descente en 2011. La saison dernière, plus pitoyable que celle de l'année de la finale de coupe de la ligue ne fut pas un choc brutal mais un long supplice qui a permis de se préparer à cette saison en Ligue 2.
Cette année fut donc d'une certaine manière une forme d'acceptation que le club aimé que l'on a connu a vécu. Difficile à expliquer pour ceux qui ne sont pas supporters et certainement pour ceux qui n'ont pas connu leurs clubs dans une spirale aussi négative, j'imagine alors que ce "ras-le-bol à froid" doit être également perçu chez certains supporters nantais, messins ou strasbourgeois.
Loin des yeux...
L'une des premières hypothèses concernant cette desaffection, elle est extérieure au club. C'est l'éloignement. Un éloignement d'abord spatial car nombreux sont ceux qui quittent leurs terres d'origine pour chercher fortune ailleurs. En s'éloignant de l'endroit où bat le coeur du club, ne se prive-t-on pas d'une certaine forme d'intensité quotidienne dans lequel s'autoalimente le sentiment d'appartenance à une communauté de supporters ?
Côme, supporter nantais pense plutôt que cet éloignement est un moyen de se différencier de ses nouveaux voisins et de renforcer son identité en vantant sa spécificité régionale :
" L'éloignement géographique, je ne pense pas qu'il a énormément modifié ma perception de l'équipe. Au contraire, dans les premières années, j'étais un peu à prêcher pour ma paroisse, en parlant du FC Nantes à qui veut l'entendre. "
Un point de vue qui semble être celui développé par Ludovic Lestrelin, Maître de conférence en sociologie à l'université de Caen et auteur de "L'autre public des matchs de football", ouvrage qui s'attèle à démontrer que le développement technologique (augmentation du nombre de retransmissions télévisées des matchs, internet...) et l'accroissement de la mobilité ont conduit à l'émergence d'un "supportérisme à distance".
Intimement lié à l'importance de la couverture médiatique, que se passe-t-il alors lorsqu'un supporter "extraterritorial" (pour reprendre les termes de l'ouvrage) ne dispose plus de la même quantité d'informations, suite à une relégation par exemple ? Le lien n'est-il pas alors rompu ou du moins affaibli ?
Seul, l'éloignement spatial ne semble donc pas justifier ce blues du supporter. Au contraire, il renforce l'identité de l'expatrié. Associé aux mauvais résultats qui condamnent le club à une baisse de sa couverture médiatique, le supporter lointain peut alors voir sa passion s'amenuire.
En avoir marre des mauvais résultats, est-ce être "un mauvais supporter" ?
Qui dans les travées de son stade n'a jamais entendu l'adage "c'est au pied du mur que l'on voit le vrai supporter ?". Y a-t-il donc un contrat tacite qui lie un homme à une équipe et qui le voue à sacrifier son temps et son argent, cela même alors que la qualité du spectacle proposée n'est pas à la hauteur ? À en entendre certains, oui. Cela fait parti du pacte qui lie le supporter à son équipe. Pour Pierre (PSG), c'est dans la lutte de son club contre la relégation qu'il a connu l 'une de ses émotions sportives les plus fortes :
" Mes meilleures soirées foot avec les potes, c'est le maintien face à Sochaux et contre Saint-Étienne (en 2008). Ce sont trop d'émotions. Et puis en général, plus les résultats sont mauvais, plus je soutiens. C'est un défi personnel inconscient."
Cette position de martyr peut être louable, on ne peut pas brader des années de passion dès que les premiers mauvais résultats apparaissent. Mais quid si ces mauvais résultats persistent ? À Nantes, où le FCN n'est plus que l'ombre de lui-même depuis son dernier titre en 2001, Côme exprime plus de la lassitude à participer à cette déconfiture qu'un réel engouement....
" Les résultats en berne font que je n'ai pas vu le FCN joué depuis plus d'un an. Mes derniers matches sont trois Laval-Nantes ou Nantes-Laval, pour trois 0-0 sans fond de jeu, sans envie, sans rien. Laval me faisait plus plaisir à voir. "
Plus que les résultats d'une saison, ce sont les cycles longs qui semblent avoir un impact sur le supportérisme. Ces crises sont souvent à mettre à l'actif d'un changement de politique du club.
Le football moderne conduit-il le supporter à devenir un être schyzophrène ?
En cas de mauvais résultats, chacun est mis au pied du mur de ses responsabilités. L'entraîneur est souvent le fusible mais une fois la saison achevée, ce sont les dirigeants qui sont visés. En s'octroyant les ultimes décisions et dans un contexte d'opposition sociale, entre les supporters se voulant garants d'une certaine idée de leur club et des dirigeants pragmatiques, notre époque nous conduit à des situations tendues que le football ne nous avait jusqu'ici jamais offert. À Nantes, pour Côme, le changement de présidence est pour beaucoup dans son ressenti actuel :
" Dès l'utilisation nauséabonde du "clash" Landreau/Gripond/Amisse, mes rapports avec le club se sont distendus. Je ne remonterai pas jusqu'au limogeage de Denoueix. J'étais un peu trop jeune et la réponse est trop facile. Avec Gripond qui vire Amisse, c'est la fin du sportif et le début des emmerdes présidentielles... Depuis, ça n'a pas changé, pour ne pas dire empirer."
Chez Jérôme (PSG), le son de cloche est identique. L'annonce du plan Leproux a été l'instant où quelquechose semble s'être cassé en lui :
" Le plan Leproux a définitivement éteint quelque chose en moi. Je ne l'ai pas vu venir. Je me souviens de ce dernier match en mai au Parc, et les ultras de Boulogne et d'Auteuil qui chantaient non stop “Nous les supporters, on sera toujours là!”. Aujourd'hui, quand j'y repense, je balance systématiquement entre rires et larmes. Et puis cette annonce dans les médias. Les abonnés priés d'aller se faire mettre ailleurs... Ou d'accepter un placement aléatoire. Et tout de suite derrière, cet immense sentiment d'injustice: pourquoi punissait-on tous les abonnés et pas seulement les quelques centaines d'excités? Aujourd'hui, j'ai beau tenter d'être le plus objectif possible, je reste persuadé qu'on a délibérement profité de la mort d'un supporter de Boulogne pour supprimer la passion et installer une nouvelle politique, uniquement axée sur le fric. Oui, je sais, en écrivant cela, j'entends déjà les connards bien pensants me traiter, au mieux, d'indécrottable naïf, au pire, de démago dangereux. Mais je reste persuadé que ce cadavre a permis d'accélérer le processus du “tout marketing”. J'étais bien sûr au courant des “problèmes” entre Boulogne et Auteuil, je les voyais depuis ma place en tribune K, s'insulter, se provoquer mais je fais partie de ceux qui pensent aussi que le stade est un défouloir, un moyen de vider le stress accumulé durant la semaine. Les arènes romaines au 21ème siècle. Oui, c'est un cliché mais il est valable, indiscutable. Seuls les couillons qui ne vont jamais au stade pensent le contraire. Ceux pour qui supporter une équipe relève de la nécessité seront d'accord. Évidemment, je ne cautionne pas la bêtise crasse et la violence aveugle (mourir en allant au stade, tu parles d'un programme!), j'ai un cerveau, une éducation, une morale. Mais quelle hypocrisie tout de même. "
Ce décalage qui s'opère dans certains clubs, entre supporters et direction crééent donc de nouvelles tensions, qui n'ont finalement plus rien à voir avec les résultats ou le sport. Ici, c'est le décalage entre deux représentations du foot qui s'affrontent (ce que l'on pense devoir préserver dans les tribunes et l'absolue nécessité économique de leurs dirigeants) . Nous ne sommes plus sur le terrain du sportif mais véritablement sur celui de l'idéologie.
Quelles conséquences chez ses supporters qui doivent à la fois concilier passion du blason - dépassant le clivage idéologique qu'ils vivent dans ces situations - et nécessité d'être en accord avec leur morale, leur corpus de valeurs ? Que cela soit chez Côme ou Jérôme, le verdict est le suivant : Non, on ne peut pas cesser d'être supporter du club mais quelquechose semble s'être brisé.
" Si l'on me demande si je ressens la même chose à l'égard du FCN aujourd'hui, je dirais que oui, mais c'est un "oui bizarre". C'est-à-dire que je me rappelle des belles heures de Nantes, que je ne peux pas m'empêcher de m'extasier devant les interviews de personnes comme Denoueix, Suaudeau ou Eric Carrière... Il y a une philosophie au FC Nantes qui me parle et me parlera toujours. En fait, je ressens la même chose qu'avant pour le FC Nantes parce que je ne ressens pas les choses en terme de résultats sportifs mais bien en terme de façon de penser. [...] Cette distance que je prend avec le club, elle n'est pas irréversible . Mais ça ne dépend pas tout à fait de moi. J'ai bon espoir que l'association "A la Nantaise" fasse évoluer les choses dans le bon sens. Nantes a de nombreux projets pour dynamiser à nouveau le football. Et je continue de suivre, même d'assez loin. L'espoir reste. " [Côme]
" Depuis l'annonce du plan donc. Je ne vibre plus pareil. Je me suis, après une année loin du stade, réabonné et à chaque match au Parc, je souffre. De voir cette kermesse atroce, ces idiots qui applaudissent, chantent et exhultent quand le speaker leur demande, ses filles en string projeter des T-shirts dans la foule avec des canons à air comprimé, ça me déchire, ça me rend fou et me fait serrer les poings. Je prie à chaque match pour que l'on perde. Et je suis quand même ravi quand on gagne. Voilà le cadeau de Leproux: une putain de schizophrénie qui bouffe l'ancien supporter en permanence. Pourquoi je prie pour une défaite? Parce que, comme un con, je me dis que si les défaites se multiplient, les abonnés de la dernière heure se lasseront, que les tribunes se videront et qu'on fera appel aux anciens pour relancer la machine. Certes, là encore, je me noie dans une naïveté complètement assumée. Je sais que la chose est morte. Je sais que nos nouveaux dirigeants vont, s'ils le peuvent, préférer le Stade de France. Autant dire l'apocalypse pour des mecs comme moi. Le PSG sans le Parc, ce n'est même plus une équipe, juste une franchise, une marque déposée prête à tapiner n'importe où, tant que l'argent afflue. " [Jérôme]
Cette "schyzophrénie" dont parle Jérôme me semble être le terme le plus éloquent pour illustrer le ressenti du supporter en conflit avec ses dirigeants. On ne peut pas ne plus être supporter, cela serait renier une partie de soi, de son histoire. Mais inversement, on ne peut pas supporter que les valeurs que l'on a défendues durant les belles années dans les tribunes soient ainsi piétinées.
Supporter un jour, supporter toujours
Au final, il y a fort à parier que ce ressenti, tout supporter qui se respecte, et qui l'est suffisamment longtemps, y aura droit un jour. Messins, Strasbourgeois, Lensois, Nantais connaissent des heures sombres mais doivent penser qu'il y a quelques saisons, les Bastiais, les Rémois voire même les Toulousains pensaient également que cette composante essentielle de leur histoire personnelle était en train de disparaître.
Pour les Parisiens ou les supporters de Manchester anti-Glazer, engagés dans quelquechose qui dépasse finalement le supporterisme, lutter pour ses idées est également une démarche respectable et qui forge l'esprit de groupe qui maintient ses associations en vie.
On regrettera cependant que le football français n'engage aucune crédibilité à l'égard des associations de supporters, perçus trop souvent comme des animateurs bénévoles les jours de match et qui se doivent de rester cantonnés à ce rôle.
Les dirigeants doivent prendre en compte la spécificité du lien qui unit un supporter à son club et l'intégrer au processus de décision au quotidien. Car cet engagement sans faille et passionné d'un supporter sera toujours plus viable économiquement que le spectateur lambda, consommateur de divertissement et qui risque de disparaître une fois les beaux jours terminés sur le terrain sportif.
Finalement, entre des supporters garants d'un soi-disant ordre moral et des dirigeants qui souhaitent assurer la pérennité économique de leur club, le terme sur lequel ils peuvent s'entendre n'est-il pas la fidélité, tant au niveau économique que celui des valeurs ?