Le fantôme de Barbosa plane encore
Récit d anticipation sur les conséquences d une défaite du Brésil lors des huitièmes de finale de la Coupe du Monde
14h44.
Onze hommes en rouge exultent avec retenue dans un silence de plomb. Celui la-même que l'on rencontre sur les terres arables labourées par une bataille, de ces moments où seuls les vents s'abrogent le droit à la parole. Le rectangle vert est jonché de onze corps aux couleurs jaune et vert. Ils ne sont pas morts. Ils le préféreraient.
Rien ne laissait entrevoir ce scénario catastrophique. Certes, le jeu du Brésil n'avait pas été transcendant au cours de la phase de poule mais on a l'habitude de penser que la deuxième phase est une autre compétition.
À la 17eme minute, David Luiz glisse sur une passe anodine de Marcelo, Alexis Sanchez qui passait par là n'en demandait pas tant et s'en va planter Julio César. Stupéfaction au Mineirao, le Brésil est mené. Pas de panique cependant, le soutien de la foule reprend de plus belle, il reste plus d'une heure de jeu et l'équipe a déjà connu cette situation lors du match d'ouverture. Mais les Auriverdes n'y arrivent pas. Ils se cassent les dents sur les Chiliens, tout de blanc vêtus pour l'occasion.
Plus les minutes s'égrènent et plus la tension se matérialise dans les travées du stade. Quelques sifflets font leur apparition à l'heure de jeu, les dernières minutes donnent l'impression qu'autre chose qu'un match de football se joue.
Et puis il y a cette 89eme minute.
Siégeant devant la surface andaise, Dani Alves voit son énième centre contré par le dos de Jara. Le ballon, plutôt que d'aller en corner, se dirige en direction de Vidal totalement esseulé, qui après avoir effacé Thiago Silva d'un dribble bien senti, s'en va battre Julio César pour la seconde fois de la soirée.
Dès lors, le service de sécurité présidentielle invite la chef de l'état Dilma Rousseff a quitté le stade avant le coup de sifflet final. Elle s'exécute le visage grave. En dessous d'elle les encouragements ont laissé place à un silence de verre qui se rompt quelques minutes plus tard une fois le match achevé. Les onze hommes sur le terrain ont commis la plus grande trahison au Brésil et le stade compte bien faire office de tribunal.
Immediatement, l'opium du peuple ne fait plus effet. La ville s'endort et se réveille dans la colère. Des fumeroles se dégagent des carcasses de voiture lorsque le soleil point. Aux revendications sociales qui hantaient les rues brésiliennes avant la Coupe du Monde se joint également le rejet de ses mercenaires qui composent la sélection nationale. Il faut dire qu'ils ne sont que quatre à jouer au pays.
Très rapidement la FIFA oblige le gouvernement brésilien à renforcer les mesures de sécurité autour des stades d'une Coupe du Monde qui n'appartient plus au pays hôte. La situation est ubuesque, des barrages sont installés dans un périmètre de cinq cent mètres autour des enceintes afin de limiter l'approche des manifestants. A Sao Paulo, des chars ont été dépêchés pour la demi-finale. Pendant qu'une répression sanglante a lieu dans les rues des principales métropoles, la compétition continue de se tenir dans un huis-clos sordide.
Un petit groupe de contestataires qui supportent Vasco De Gama érigent Le visage de Barbosa sur des oriflammes. Selon eux, ce dernier est le symbole de l'oppression et du sadisme dont ont fait preuve les générations précédentes, aujourd'hui au pouvoir. Le gardien du Brésil de la Coupe du Monde 1950 avait fait l'objet de la pire des accusations dans l'histoire de ce pays : il était responsable de l'échec de la Seleçao lors du match final qui a vu triompher l'Uruguay.
Les jeunes manifestants entendent dénoncer l'injustice à son égard. Ce dernier se voit même refuser par la fédération d'aller saluer la sélection nationale qui se rend aux USA en 1994, de peur de leurs porter la poisse.
Barbosa est également repris comme symbole de la ségrégation raciale dont souffre encore aujourd'hui le Brésil. Premier gardien noir de la Seleçao, il sera le dernier jusque Dida dans les années 2000. Très vite, son portrait est repris dans toutes les processions nocturnes, on le tend fièrement comme on accroche un poster à l'effigie du Che au dessus de son lit d'adolescent. Le martyr auriverde du ballon rond est enfin réhabilité, quatorze ans après sa mort.
Qu'importe la raison, les Brésiliens et le football sont rarement fâchés longtemps.