Cette superleague qui a sauvé le football
Et si d'ici à quelques années, les clubs les plus riches allaient s'amuser ensemble dans une compétition à l'abri des relégations et de l'aléa sportif ?
En ce 31 juillet 2023, nous fêtons le 5e anniversaire de la Superleague, championnat de football composé des 20 clubs les plus importants du Vieux continent. En 2016, les principaux clubs européens se sont rendus à l'évidence : l'écart de niveau entre les clubs d'un même championnat national devenait trop important et cela nuisait à l'enjeu. Barcelone et Madrid se partageaient à tour de rôle le titre en Espagne. Le Paris Saint-Germain ne trouvait pas de challenger en Ligue 1. Tout cela avait conduit les télévisions à revoir le niveau des droits TV. La baisse de l’enjeu sportif nuisait à l’attraction des programmes.
Lassées du chantage des chaînes de télévision quant à la baisse des subventions, les principaux clubs anglais avaient menés la fronde : les boards de Chelsea, Manchester United, Manchester City, Liverpool et Arsenal, avides de nouvelles sources de revenus ont conviés leurs homologues européens à réfléchir à une alternative dans la discrétion d’un salon huppé de la City.
Les principaux clubs européens étaient présents, le FC Barcelone et le Real Madrid pour l’Espagne, le FC Porto pour le Portugal, la Juventus, l’ AC Milan et l’Inter pour l’Italie et le Bayern Munich et le Borussia Dortmund pour l’Allemagne. A cela se rajoute les deux nouveaux riches de la Ligue 1 au fort potentiel que sont le PSG et l’AS Monaco. Pour faire le nombre et en vue d’attirer l’attention de marchés émergents au potentiel démographique important, Galatasaray et Fenerbahce en Turquie, l’Olympiakos, l’AJAX et le CSKA Moscou avaient également été invités.
La force économique de ces superpuissances réunies a permis de proposer aux diffuseurs deux types de lots : d’un côté, les principales chaînes diffusent l’ensemble de la compétition, tous matchs confondus, chacun s’avérant une affiche intéressante. De l’autre, un lot proposé aux diffuseurs moins importants et permettant de suivre les matchs des clubs locaux exclusivement. Cette superleague n’a rien inventé puisqu’elle s’inspire des méthodes employées dans les sports US.
Basé sur un système de matchs aller-retour, les équipes s'affrontent quatre fois au cours de la saison. La première saison avait vu le Bayern Munich s'imposer. Le principe de la ligue fermée permet d'éviter la faillite des clubs, comme ce fut le cas pour nombres d'entre eux a compter de la décennie 2010.
Cependant, coup de tonnerre à la fin de la première saison : le président russe Dimitri Rybolovlev décide de quitter l'AS Monaco pour installer sa "licence superleague" à Marseille où le club a annoncé sa faillite quelques mois plus tôt. L'oligarque comprend l'intérêt de s'installer dans la cité phocéenne ou le stade affichait une capacité supérieure à Louis II. Même si Monaco était une place forte des financiers du monde entier, l'Olympique de Marseille représentait une marque d'autant plus rentable de par son palmarès et sa notoriété, en France et à l'étranger. Une fusion avait été proposée en 2017 entre l'AS Monaco et l'Olympique de Marseille mais la Principauté, actionnaire minoritaire du club avait refusé.
Les "autres clubs" continuaient de se rencontrer dans le cadre des championnats nationaux et de la coupe UEFA. Faute d'attractivité et d'intérêt economique, l'organisation européenne avait regroupé la champions league et l'UEFA Cup. En l'absence des cadors du foot continental, la compétition avait retrouvé son format d'antan : matchs aller/retour opposant 256 clubs.
Au niveau national, malgré la crainte initiale de voir le téléspectateur lambda se désintéresser des équipes locales, les compétitions avaient su trouver leur public. Les principales chaînes s'étant accaparées la superleague, les chaînes de télévision secondaires avaient récupérées la diffusion des ligues nationales. Les droits TV étaient certes moindre mais l'absence des mastodontes a permis de rééquilibrer les compétitions locales. En Angleterre, Everton avaient remporté les deux dernières éditions. Bordeaux, Lille et Lyon s'étaient succédés lors des trois dernières saisons de la Ligue 1. Un second club parisien avait enfin vu le jour et occupe le Parc des Princes, enceinte devenue trop exiguë pour le PSG qui s'était définitivement installé au Stade de France (rebaptisé Qatar Airways Arena pour l'occasion).
La baisse des droits TV a conduit les clubs des ligues nationales à revoir leur modèle économique : développement du marketing et du merchandising, les stades devenaient des lieux de loisirs et de consommation. En retrouvant un certain intérêt sportif, les ligues locales avaient su s'avérer fiable économiquement.
Les liens entre la superleague et les autres ne se sont d'ailleurs pas totalement coupés. Des partenariats ont été signés entre les clubs. Le PSG s'octroyaient la priorité sur les futures stars du LOSC par exemple et d'une grande partie des clubs de la moitié Nord de la France. Cependant, des partenariats pouvaient exister entre clubs de différentes nationalités. A l'inverse, les joueurs s'avérant moins compétitifs ou dans une mauvaise passe en Superleague pouvait être "rétrogradés" temporairement dans les compétitions locales. La pige que Leo Messi a effectué à la Sampdoria en 2021 (partenaire du FC Barcelone) lors des cinq derniers matchs afin de leurs éviter la relégation a été assez mal perçue. Une modification de la réglementation est en cours afin d'éviter ce genre de pratique.
Bien sur, la Superleague n'était pas parfaite. Les cinq ou six clubs les plus riches la composant se plaignent aujourd'hui du manque de compétitivité des clubs turcs et grecques et demandent que la répartition des droits TV soient revue. Une extension de la Superleague à 24 clubs est également en discussion : une super équipe scandinave devait voir le jour afin de s'attaquer au marché de la Finlande, de la Suède, du Danemark et de la Norvège (Göteborg semble tenir la corde, son position géographique et ses installations étaient des avantages certains). Un second club russe, une équipe Berlinoise et le Benfica Lisbonne étaient positionnés également.
Le football professionnel prend aujourd'hui conscience qu'il est à deux vitesses. Les clubs gravitent dans des sphères différentes et ne peuvent plus se cotoyer. Chacun y trouve aujourd'hui son compte. Le jeu et l'enjeu peuvent enfin reprendre après deux décennies où le football était devenu une caricature, un jeu de dupes qui ne dupait plus personne.