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Moustache Football Club, réflexion et analyse sur l'actualité du football.

Le jour d'après

Le jour d'après

Récit d'anticipation sur des tribunes sans supporters.

Janvier 2016,

la France du foot est à la fête. Tous les stades sont enfin livrés en vue d'accueillir l'Euro 2016. Ils sont flambants neufs ou rénovés. Frédéric Thiriez, venu inaugurer le Stade des Lumières de Lyon ne cache pas sa satisfaction tant au niveau de la qualité architecturale du contenant que de la docilité de son contenu.

Dans les salons prestige, les couleurs chamarrés du stade ont laissé la place au gris des costumes et au noir et blanc des serveurs qui s'agitent pour combler les bouches des entrepreneurs les plus influents de la capitale des Gaules. Chacun y va de son compliment sur l'esthétisme de cette arche de loisir moderne en soutenant que c'est un peu la leur également, moyennant quelques deniers versés il y'a de cela quelques années. Le brouhaha des conversations qui s'enchevêtrent contraste avec le léger bourdonnement que l'on perçoit dans les tribunes en contrebas.

Sur le terrain, des danseurs s'adonnent à diverses gesticulations afin de divertir le public qui s’installe progressivement dans les travées. Sur le modèle des sports américains et du Stade Français, des danseurs s’agitent dans le rond central alors que des animateurs distribuent des drapeaux à la gloire de l’OL aux supporters présents. Certains sont invités par le biais des places qu’ont distribuées les entreprises partenaires de l’édification de l’enceinte mais beaucoup ont fait l’effort de débourser une somme supérieure de 20% à celle de Gerland pour être parti prenante de cette grande première. Il est 20h00, le coup d’envoi est donné et après quelques minutes où le speaker a donné de la voix pour chauffer le stade pendant lesquels les drapeaux se sont agités, l’habituelle torpeur de la Ligue 1 reprend ses droits sur le terrain et dans les tribunes.

Ce qui choque le plus pour celui qui n’a pas mis les pieds dans un stade depuis le passage de la loi appliquée depuis le début de la saison 2015-2016, c’est l’homogénéité visuelle qui émane des tribunes. Devant un écran, il est bien difficile de savoir dans quel stade l’on se trouve. Parfois s’échappe d’un duffle-coat une écharpe aux couleurs du club soutenu, ici des enfants sont passés à la boutique officielle du club et sont rhabillées de la tête au pied. Mais aucune tribune ne semble totalement dévolue à la dévotion d’un club.

Il faut dire que les pouvoirs publics ont tapé fort quelques mois plus tôt. Las d’un énième incident aux abords du stade avant Nice-Bastia, le gouvernement socialiste, sous l’impulsion de son ministre de l’intérieur Manuel Valls décida de prendre le problème du supportérisme à bras le corps. Les deux points essentiels de cette loi furent la dissolution de toutes les associations de supporters afin de repartir sur de bonnes bases et l’interdiction pour les supporters de se déplacer soutenir leur équipe à l’extérieur.

Mesure choc, le premier point a permis de mettre un terme au mouvement ultra dans les stades français. Tous groupes d’individus souhaitant créer une association de supporters devait systématiquement avoir l’aval du club et montrer patte blanche aux autorités. Toutes personnes ayant déjà fait l’objet d’une interdiction de stade un jour n’avait bien entendu pas le droit d’adhérer à l’une de ces associations. L’adhérent supporter disposait d’avantages économiques non-négligeables : priorité au réabonnement - un des autres points de la loi fut de limiter les abonnements dans les stades afin de multiplier la vente des tickets par match, plus rentable pour les clubs - priorité dans les matchs de gala (coupe d’Europe, coupe de France, coupe de la Ligue) et la mise à disposition d’un pack supporter comprenant le nouveau maillot, une écharpe et un bonnet pour les soirs d’hiver. A l’instar du Parc des Princes, il n’était plus possible de choisir sa place, cette dernière était assignée aléatoirement afin d’éviter la concentration d’individus belliqueux à un seul et même endroit du stade.

L’interdiction des déplacements des supporters de l’équipe extérieure avait permis de mettre un terme aux confrontations gênantes et aux débordements avant et pendant le match. Sous l’impulsion du sociologue Dominique Bodin, Thiriez avait convaincu la commission d’enquête en charge de la rédaction de cette loi de mettre fin à ces déplacements couteux pour les clubs, pour les forces de l'ordre et peu avantageux économiquement parlant. La disparition des parcages avait en effet permis de débloquer au mieux 2.000 places supplémentaires dans les stades au profit de nouveaux spectateurs.

Lors de l’annonce de ce projet de loi, les supporters avaient entrepris plusieurs actions : grève des chants puis voyant le contrôle leurs échapper, ils avaient boudé les matchs de la fin de saison. Certains en étaient même venus à l’affrontement avec les forces de l’ordre, rixes récupérées par la LFP et les pouvoirs publics pour communiquer auprès du grand public sur la nécessité de cette loi. A une période, une grande marche pacifique fut à l’ordre du jour, regroupant toutes les associations de supporters mais personne ne réussit à s’entendre, d’autres déclinèrent l’invitation suite à la présence d’associations rivales. Certaines associations historiques avaient émis l’hypothèse de dissoudre uniquement les regroupements d’ultras, ce qui créa d’autant plus de tensions au sein d'une même tribune et conduisit à quelques débordements. L’opinion publique quant à elle se foutait complétement du sort des associations de supporters. Le quidam n’avait d’intérêt que pour le Paris Saint-Germain, nouveau champion d’Europe qui avait bien réussi le pari de pacifier ses tribunes et qui était devenu l’endroit à la mode où le ghota parisien aimait être vu.

Ce soir là à Lyon, les spectateurs s’enflammèrent sur les buts de leurs équipes puis furent invités par les stewards à se rasseoir rapidement. Au cours des pauses suite à la blessure d’un joueur ou autres, les hauts-parleurs disposés autour du terrain crachèrent des applaudissements et des chants enregistrés afin de motiver les troupes. Quelques applaudissements sporadiques ici et là se firent entendre avant de laisser la place à un bruit de fond indicible, souvent entrecoupés d’applaudissements et de “Aaaah” lorqu’un ballon frolait le cadre adverse ou lorsqu’un défenseur réussissait un tackle parfait.

Dans la tribune VIP, Frédéric Thiriez, aux côtés de Jean-Michel Aulas, souriait de voir qu’aucun incident n’avait émaillé la première partie de saison. La moustache frétillante, l'allure fiere de voir que la Ligue 1 commençait à intéresser les investisseurs étrangers, Frédéric portait un regard bienveillant sur la plèbe de consommateurs autour de lui. Ses yeux étaient habités d’une flamme d’ambition qui pouvait enfin être sans limite.

Frédéric avait enfin acquis la posture d’un empereur ancien.

Tel Néron absorbé par le grand incendie qu’il avait su éteindre.
 

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Tony montagnard
02 Décembre 2013
" La moustache frétillante, l'allure fiere de voir que la Ligue 1 commençait à intéresser les investisseurs étrangers, Frédéric portait un regard bienveillant sur la plèbe de consommateurs autour de lui. Ses yeux étaient habités d?une flamme d?ambition qui pouvait enfin être sans limite."

J'ai kiffé ! Belle dystopie.
Le ghotta, c'est le gotha du ghetto ? :)
Pendant ce temps, les téléspectateurs du pay-per-view s'emballent devant l'ambiance de folie du match, regénérée grâce à la nouvelle technique SafeUltrasTM, permettant de mixer le direct terrain d'un match avec des images tribune d'archive, pilotées en direct par un opérateur pour répondre aux diverses phases de jeu possible (but, tacle par derrière, hors-jeu non sifflé, etc..).