Nantes-PSG : un arrêté préfectoral en question
La saison de Ligue 1 reprend, la chasse aux supporters parisiens également. D'une mesure exceptionnelle, la mise en place d'un arrêté préfectoral interdisant l'accès au stade et à ses alentours par les supporters parisiens est quasiment devenue la norme. La démarche apparaît pour beaucoup de fans de football comme une entrave à leur liberté, mais qu'en est-il vraiment ? Rencontre avec Pierre Barthélemy, avocat publiciste qui a demandé l'annulation de cet arrêté.
MoustacheFC (MFC) : Pierre, pour quelles raisons cet arrêté te semble contestable ? Quels sont les points qui te semblent illégaux ?
Pierre Barthélemy (PB) : Cet arrêté me semble contestable pour différentes raisons.
Premièrement, il se fonde sur une discrimination entre supporters du Paris-Saint-Germain et supporters ayant appartenu à des associations dissoutes de supporters du Paris-Saint-Germain. Pour méconnaître le principe d'égalité, en France, il faut justifier la discrimination soit au regard de l'objet de l'acte concerné, soit au regard d'un motif d'intérêt général. En l'espèce, Monsieur le Préfet ne prend pas la peine de justifier cette discrimination.
En outre, l'arrêté n'opère aucune distinction entre association dissoute judiciairement pour troubles à l'ordre public (Boulogne Boys ou Authentiks, par exemple) et associations autodissoutes donc jamais condamnées (Tigris Mystics ou Lutece Falco, par exemple). Il n'existe donc aucune lien entre le motif de l'interdiction et son champ d'application.
Deuxièmement, quand une personne publique prend une mesure privative de liberté (celle d'aller et venir et son corollaire, la liberté de circulation, en l'occurrence) en matière de manifestation sportive, elle doit le justifier au regard des circonstances de temps et de lieu. Or, Monsieur le Préfet se fonde des faits antérieurs à 2011 (le PSG s'est déplacé plus de cinquante fois depuis) et n'ayant aucun lien avec le département de la Loire Atlantique. De surcroît, la personne publique doit démontrer l'existence d'un risque de troubles graves. Or cet arrêté, non seulement ne parle que de simples risques, mais surtout ne les justifie pas correctement.
Troisièmement, en matière de préservation de l'ordre public face à des risques de troubles ou des risques pour la sécurité des biens et des personnes, l'autorité de police peut prendre des mesures privatives de liberté. Toutefois, elle doit justifier cette mesure en démontrant que c'est bien la mesure la plus adaptée et qu'il n'existait aucune autre mesure efficace moins attentatoire à la sauvegarde des libertés fondamentales. En l'occurrence, cet arrêté se borne à invoquer, dix jours avant la rencontre, que les forces de l'ordre locales sont insuffisantes. Sans que cela ne soit justifié. Surtout, il n'explique pas en quoi la seule présence de quelques dizaines / centaines de personnes ayant appartenu à des associations dissoutes du PSG exige des forces de l'ordre en quantité bien plus importante que pour les autres matchs où elles doivent gérer plus de 30.000 spectateurs. A commencer par les réceptions de Rennes ou de Bordeaux, alors que les Ultras nantais et bordelais sont tout sauf des tendres.
Surtout, cette mesure me paraît aussi inadaptée qu'inefficiente. L'arrêté vise le texte réglementaire portant création d'un fichier des personnes interdites de stade. Pour autant, il n'interdit pas l'accès à la zone autour du stade ni au stade à des personnes anciennement interdites de stade et jamais cartées dans une association, mais bien aux personnes anciennement cartées, peu importe qu'elles n'aient jamais été parties à des faits répréhensibles. Cet arrêté n'empêche donc en rien la venue de personnes susceptibles de troubler l'ordre public. Il n'a pas pour autre conséquence que d'interdire la venue des Ultras du PSG en tant que masse mal définie.
Enfin, on peut s'interroger sur l'opportunité de laisser ces personnes acheter des places auprès du PSG pour ensuite leur interdire le déplacement alors que dès l'achat initial, ils doivent montrer leur pièce d'identité au club.
>>>CONSULTER L'ARRÊTÉ PREFECTORAL ICI
MFC : En somme, un habitant du quartier se trouvant dans le périmètre et arborant les couleurs du club parisien pourra être interpellé, même si il n'a pas l'intention de se rendre au match ?
PB : Selon cet arrêté, toute personne se prévalant de la qualité de supporter du PSG ou se comportant comme tel ne peut circuler dans la très large zone déterminée autour du stade dès lors qu'il est démuni de billet, dès lors qu'il n'a pas acheté ce billet auprès du Paris-Saint-Germain (à 400km de chez lui, donc) et dès lors qu'il a été membre d'une association de supporter du PSG dissoute. Donc si une personne habite dans cette zone et porte les couleurs du PSG, elle peut être arrêtée par les forces de l'ordre. Même un individu ayant adhéré à une association de supporters du PSG aujourd'hui dissoute lors de la saison 1986-1987 pour accompagner un ami sans n'avoir jamais été supporter du PSG ne pourra pas circuler 16 ans plus tard dans cette zone, même s'il ne se prévaut pas de la qualité de supporter du PSG ou ne se comporte pas comme tel. Évidemment, c'est pousser le raisonnement juridique à l'extrême. Néanmoins, c'est bien ce que cet arrêté implique.
En rouge le stade. En noir la zone interdite dimanche à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du PSG pic.twitter.com/TtnATaBIsx
— Pierre B. (@Pierre_B_y) August 20, 2013
MFC : Peut-on savoir ce que risque un supporter parisien présent au sein de ce périmètre au moment du match ?
PB : Ce supporter parisien risquerait alors six mois d'emprisonnement, 30.000 euros d'amende et jusqu'à deux ans d'interdiction de stade avec obligation de pointer au commissariat près de son domicile en première et seconde mi-temps de chaque match du PSG. Deux ans d'interdiction de stade auxquels le PSG pourrait ajouter deux années supplémentaires d'interdiction de Parc des Princes. Je laisse chacun juge de la différence de traitement avec une personne prenant le volant en état d'ébriété avancé et mettant en jeu plus que la sécurité des biens.
MFC : Comme l'a indiqué le Préfet de Loire-Atlantique, penses-tu que cet arrêté soit la conséquence directe du manque d'effectif des forces de l'ordre ?
PB : Je n'ai aucun moyen de certifier qu'il se trompe. Le juge administratif ne peut d'ailleurs pas se substituer au titulaire de l'autorité de police pour en vérifier la réalité. Il est contraint à un contrôle minimum, c'est-à-dire qu'il ne peut annuler l'arrêté que s'il estime que Monsieur le Préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation. Concrètement, la marge d'interprétation de Monsieur le Préfet est immense.
De mon point de vue, les forces de l'ordre à disposition doivent suffire. Les supporters parisiens ou hooligans tournant autour d'eux sont individuellement connus des forces de l'ordre qui envoient systématiquement les Renseignements Généraux ou division du hooliganisme pour les suivre. De surcroît, ces forces de l'ordre ont l'habitude de gérer au moins 19 matchs de football chaque année autour de ce stade dont elles ont une connaissance parfaite. Enfin, cet arrêté n'interdit pas aux fauteurs de trouble de venir dès lors qu'ils sont munis d'un billet et n'ont pas appartenu aux dites associations ; aussi, Monsieur le Préfet risque-t-il déjà de toute façon de devoir déployer les forces de l'ordre nécessaires pour contrôler cet élément perturbateur potentiel.
On pourrait penser que l'on se trouve dans l'hypocrisie la plus complète. Sans ne rien affirmer, on peut ajouter ceci au faisceau d'indices tendant à laisser penser que les pouvoirs publics veulent mettre des bâtons dans les roues des Ultras de manière systématique. Le problème étant, avec les supporters parisiens, qu'ils ont dissous les associations de supporters...leur seul moyen d'avoir des personnes morales juridiquement responsables et humainement structurées face à eux. Si la sauvegarde de l'ordre public était leur seule préoccupation, l'arrêté aurait interdit de circulation les personnes anciennement interdites de stade et non anciennement membres d'associations réputées Ultras.
MFC : Quel est le positionnement du PSG vis à vis de cet arrêté ? Le club peut-il encore être responsable en cas de débordements de ses supporters ?
PB : Je crois que le club parisien ne peut être responsable en déplacement que des faits répréhensibles commis par les participants au déplacement officiel. Mais la question est complexe, il est possible que les responsabilités des pouvoirs publics, du club hôte et de la Ligue de Football Professionnel puissent aussi être concurremment invoquées.
Je ne connais pas le positionnement du PSG sur cet arrêté. En revanche, j'ai eu plusieurs retours selon lesquels le PSG demande aux pouvoirs publics de prononcer des interdictions administratives (donc sans l'intervention d'aucun magistrat et sans réel contradictoire) de stade. Car le club se réserve la possibilité dans ses conditions générales de vente d'ajouter une nouvelle peine d'interdiction de matchs du Paris-Saint-Germain / de résiliation de l'abonnement pouvant aller jusqu'à deux ans. Etant acquis que souvent le club ajoute une peine plus importante que celle des pouvoirs publics. Etant surtout acquis que le PSG sait que ces interdictions administratives de stade sont souvent illégales mais exigent des années de procédure pour en obtenir l'annulation.
MFC : Selon toi, et hormis le dépôt de ce recours, existent-ils d'autres leviers d'actions juridiques pour infléchir la position des pouvoirs publics à l'égard des supporters ?
PB : Au-delà du référé-liberté introduit contre cette interdiction de déplacement, il existe d'autres moyens de recours...en théorie. Et en théorie seulement. Le référé-liberté permet d'obtenir une décision du tribunal administratif dans les 48 heures. En revanche, le référé-suspension, autre mesure d'urgence, peut exiger plusieurs semaines. Le recours pour excès de pouvoir exige au mieux des mois, plus probablement des années. Un arrêté d'interdiction de déplacement étant publié généralement entre trois et huit jours avant le match, seul le référé-liberté est pertinent. Les autres recours permettraient, le cas échéant, d'obtenir une annulation a posteriori d'un arrêté n'étant plus en vigueur. D'une part, la condition d'urgence ferait défaut pour le référé-suspension ; d'autre part, l'annulation en excès de pouvoir n'aurait aucun intérêt pratique deux ans après le déplacement. Etant précisé que ces recours coûtent non seulement du temps mais aussi de l'argent entre timbre fiscal de saisine du juge et honoraires d'avocats. Les pouvoirs publics ont du temps et de l'argent que n'ont pas les supporters.
Il reste donc ce fameux référé-liberté qui exige que l'on démontre d'une part l'urgence à statuer, d'autre part une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Or, le juge administratif considère souvent que l'accès au stade ne constitue pas un corollaire de la liberté d'aller et venir et donc pas une liberté fondamentale. Il considère parfois que l'atteinte n'est pas suffisamment grave pour justifier l'annulation dès lors qu'un faible nombre de personnes sont concernées.
Concrètement, le combat juridique est un combat vain.
Il serait encore possible de saisir la CEDH mais cela exige l'épuisement des voies de recours internes (référé, excès de pouvoir, plein contentieux d'une part, première instance, appel et cassation d'autre part). Ce qui peut se chiffrer à dix années de procédures et à des milliers d'euros de frais pour obtenir un ersatz de condamnation symbolique.
MFC : La constitution d'une superstructure regroupant les associations françaises peut-elle représenter un plus afin de défendre les intérêts des supporters ?
PB : La constitution d'une superstructure de supporters en France serait un plus indéniable si on lui confèrait la personnalité juridique. D'une part, elle pourrait attaquer tous les arrêtés d'interdiction de déplacement sans se voir opposer un défaut de qualité pour agir. D'autre part, elle permettrait une synergie majeure dans la préparation des recours contentieux (mise en commun de l'expérience juridique, mise en commun des ressources financières).
Surtout, sachant que le combat juridique est vain, elle constituerait un relais médiatique puissant. En s'unifiant, les supporters de club seraient beaucoup plus audibles et crédibles. Cela permettrait d'obtenir une audience auprès des médias et des amateurs de football mais aussi d'offrir un interlocuteur sérieux et respecté aux pouvoirs publics pour trouver une solution protectrice de l'ordre public et respectueuse du droit des supporters. Car actuellement les recours juridiques ne sont souvent qu'un moyen d'attirer l'attention des médias massivement et majoritairement silencieux sur ces questions.
Si les supporters, notamment Ultras, bénéficiaient d'un relais juridique et médiatique aussi développé que d'autres minorités (si le parallèle m'est permis) aux revendications, pour leur part, politiques ou religieuses, le rapport de force pourrait nettement se rééquilibrer. Gagner les médias et l'opinion publique est le meilleur moyen de réouvrir les discussions et modifier des textes beaucoup trop coercitifs (LOPPSI II, Code du Sport) au point que les magistrats n'ont plus vraiment la possibilité de défendre l'équilibre entre préservation de la sécurité des biens et des personnes et sauvegarde des libertés des supporters.
Merci à Pierre d'avoir consacré pas mal de temps à répondre à nos questions. La réponse du tribunal est prévue ce vendredi. Vous pouvez également le retrouver sur Carnet Sport et sur son blog de divagations personnelles.