Suite de notre article sur l'idéologie dans le football. Aujourd'hui, nous revenons sur le traitement médiatique du football, son évolution et sur les pistes de réflexion pour traiter ce sport autrement. Il n'y a pas de solution miracle : devant une conception du football de plus en plus vérouillée par un schéma de rentabilité économique, il doit être réappropriée par les supporters et ses fans mais la lutte doit être organisée et rassemblée sous une même oriflamme.
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L'émergence d'un pronetariat
...Les médias justement. Ils constituent l'un des piliers du système capitaliste si l'on en croit Serge Halimi dans son essai "Les nouveaux chiens de garde". Selon lui, il existe une collusion d'intérêt entre media, pouvoirs politique et économique. Des vecteurs d'opinion qui se font le relais de l'idéologie dominante.
Une opinion partagée par Hervé Kempf...et Al Gore. Ce dernier déclare en 2006 lors d'un entretien accordé au monde que la crise écologique était tout autant une crise de la démocratie : la télévision, média dominant est une vecteur d'information à sens unique, tenu par les annonceurs et la nécessité d'attirer le plus grand nombre.
La place économique qu'a pris la TV dans le football est disproportionnée. Aujourd'hui les revenus des clubs de Ligue 1 dépendent pour 2/3 de la fameuse distribution des droits TV. Ce couple est devenu indissociable au point où le petit écran est en passe de devenir une appendice du foot en substituant le jugement de l'homme en noir à la "réalité" des images du vidéo-arbitrage.
Inversement, les chaînes ne peuvent pas se passer de foot, au point où les matchs amicaux de l'intersaison font l'objet d'une diffusion. Ce produit d'appel apparaît comme particulièrement recherché par les annonceurs.
Une situation atypique d'autant plus renforcée en France que Le traitement de l'information sportive par la presse écrite n'est effectuée que par un seul grand quotidien en la personne de L’Équipe. Dans ses pages, l'on ne parle pas de politique mais uniquement des résultats sportifs. Est-ce l’incompétence ou la nécessité économique qui occulte cette question ? Le modèle économique du journalisme est en crise et cela l'oblige à prendre la voie de la tabloïdation et de spectacularisaion : du foot, du boobs, de la WAG, de l'insolite et du Zlatan. Du facilement consommable qui contraint le football à un simple phénomène de divertissement et à la glorification d’un seul joueur au détriment de la philosophie collective de ce sport.
Toutes les questions d’ordre politique qui touchent le football sont éludées. Quel média a remis en cause le partenariat public-privé pour la réalisation des stades de l'Euro 2016 ? Qui a relayé l'agression au flashball d'un supporter montpelliérain ? Aucun. Les médias sportifs opinent du chef lorsqu'il s'agit des questions économiques qui régissent le football. Tout ce qui va dans le sens d'un développement des clubs français est bon à prendre. Les journalistes sont prompts à débattre de la mauvaise compétitivité des clubs hexagonaux, comme si il s'agissait d'une balance commerciale ou à fustiger la taxe Hollande sur les très hauts revenus. L'avis de Jallet - aussi con soit-il - est parole de prophète, sans aucune réflexion critique.
Ni les médias généralistes ni les journaux sportifs ne traitent donc des enjeux socio-économiques qui régissent le sport professionnel. Un no Man's land éditorial dans lequel a su s'engouffrer certains scribouilleurs du net. Inspirés par ce qui se fait en Angleterre ou le football bénéficie d'un traitement un peu plus large que la seule analyse des résultats.
Des sites comme So Foot, les Cahiers du football ou quelques blogs ont su astucieusement mêlé humour et sujets de fond. Ce clivage entre médias traditionnels et plate-formes participatives est une nouvelle forme de lutte des classes comme le souligne Joël de Rosnay, fondateur d'Agora Vox. En 2005, ce dernier parle de lutte entre les infocapitalistes qui détiennent les réseaux et les contenus de distribution de masse et les pronetaires, blogueurs ne faisant plus confiance aux médias traditionnels.
Supporters, blogueurs, unissez-vous !
Que cela soit en Football ou dans d’autres phénomènes de société, l’individualisme exacerbé du capitalisme a conduit à la dissolution d’un sentiment d’appartenance à une culture collective. La chasse aux sorcières dans les rangs des supporters français qui a lieu en ce moment est symptomatique de cette volonté du système de se confronter à des individus isolés et non à un regroupement d’individus. En abolissant les liens entre des personnes partageant un corpus idéologique commun, il est alors plus facile d’imposer sa loi.
D’une certaine manière, c’est ce qu’ont compris les supporters de football allemand en acceptant la mise en place de Fan Projekte visant à réunir autour d’une même table les pouvoirs publics, les forces de l’ordre et les supporters. En reconnaissant qu’il existe des idées communes aux différents supporters d’Outre-Rhin, cette démarche a permis de responsabiliser les associations et de les mettre en relation avec les institutions et les acteurs locaux.
Selon Ludovic Lestrelin et Nicolas Hourcade dans le livre vert du supportérisme, cette synergie a facilité la mise en place de la Fédération Européenne des Supporters en 2008, regroupement visant à promouvoir une culture positive du supportérisme. Le diagnostic partagé a permis également d’éviter une envolée des prix lors de la rénovation des stades allemands pour la Coupe du Monde 2006. Aujourd’hui, le taux d’occupation des stades en Bundesliga est proche de 90% et cette dernière est présente comme un modèle à suivre.
En France ? Nada. Il aura fallu attendre la grave blessure du dénommé Casti par la police pour que les Ultras s'organisent et laissent de côté leur différence le temps d'un défilé.
Sur la toile, l’unité doit également être de rigueur. Il existe une constellation de sites et blogs alternatifs qui ont souvent en commun la volonté de ne pas se cantonner au débat stérile des mass médias et de proposer une autre lecture du foot. Malheureusement, entre ambition personnelle et les sites d'information qui recherchent de plus en plus des plumes en échange d'aucune autre rémunération que "d'un bénéfice d'image" - les blogueurs comprendront - il est bien difficile de faire l'union.
C'est en réfléchissant à la mise en forme d'une plate-forme commune que blogs et sites alternatifs réussiront à se faire entendre et à gagner en crédibilité. Cependant, il sera toujours difficile de faire autre chose du foot qu'un sport télévisuel. Les sites alternatifs doivent donc se montrer innovant dans les contenus qu'ils proposent, l'une des pistes pourrait être le data-journalisme, forme d'investigation basée sur les faits et les données statistiques qui pourraient venir mettre à mal les incohérences et les incantations spéculatives des journalistes sportifs qui trustent les ondes.
Peut-on penser le football autrement que comme un divertissement de masse ou une dérive exacerbée du capitalisme ? Plus qu'aucun autre phénomène contemporain de société , le football souffre de la pensée unique. Une impasse idéologique qui doi[...]
Nous vous avions déjà présenté une analyse sur cette donnée entre le classement sportif et les retombées financières de la participation à la ligue 1. Loin de reposer entièrement sur les résultats sportifs de la saison révolue, la distribution des[...]
Urbaniste maudit, passionné des phénomènes sociaux qui gravitent autour du foot, il est le dernier fan en vie du 4-2-4.
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