Violence des échanges en milieu tempéré
Nous vous partageons aujourd'hui une analyse de Tony Montagnard, qui en arpentant les réseaux sociaux s'est rendu compte que si la ségrégation sociale est spatiale au sein d'un stade, elle se fait sur les réseaux sociaux par l'intermédiaire de la maîtrise de la langue française.
Un billet de Tony Montagnard, retrouvez-le sur twitter ici : @TonyM__
Autant le dire tout de suite, l'opinion footballistique, au même titre que l'opinion publique, n'existe pas: c’est un artefact. Nous irons même plus loin en ajoutant que cette « opinion » est confisquée par les pseudos « experts journalistiques ». Disons, brièvement, que dans le milieu médiatique qui gravite autour du football, les opinions ne se valent pas : l’épicentre du discours footballistique n’a pas la même intensité selon le chemin qu'il a parcouru pour parvenir à la surface.
D’abord, il est confisqué aux principaux protagonistes, d'avance délégitimés. On peut citer le cas de Ribery, régulièrement moqué parce qu'il manie mal la langue (lien), ou encore illustrer notre propos par ce tweet de Valbuena.
on se préparent
— Mathieu VALBUENA (@MathieuValbuena) August 13, 2010
Rions donc du médecin en activité qui parle de médecine et respectons l’avis du « consultant »… Le discours footballistique est également confisqué au peuple, véritable base de ce sport historiquement populaire. Comme si, aujourd'hui, parler de football était réservé a des communicants qui sont parvenus à faire vivre le spectacle en dehors du stade et de ses passions communes.
Ces mêmes communicants qui maîtrisent à la fois la langue de Molière et les codes médiatiques, se retrouvant de fait en position dominante, permettant de truster royalement l’accès à la parole. Nous analyserons ici non pas le fond de l’opinion (puisqu’elle n’existe pas) mais bien la forme par laquelle un discours est valorisé, quand un autre est ignoré voire moqué.
Pour cela nous nous appuierons sur le concept de « violence symbolique » forgé par le sociologue français, Pierre Bourdieu. Il ne s’agit pas d’une violence qu’exerce manifestement un agent sur un autre, mais d’une violence qui s’exprime sous la forme d’une domination structurale ; autrement dit la domination d’une position en fonction d’une autre. Pour monopoliser la parole, les experts usent de cette violence.
En victimes célèbres on peut citer les « gros comptes twitter » (Personnage influent s’il en est de l’analyse footballistique sur ce réseau social) lors de l’émission radio à laquelle ils étaient conviés sur RMC. Si en apparence on leur ouvrait enfin une fenêtre d’expression, en réalité ils se sont vite trouvés limités et envoyés dans les cordes faute de maîtriser les codes radiophoniques. Ne pouvant notamment empêcher Riolo de faire un monologue de plus d’une minute trente et se retrouvant démunis face aux attaques de celui-ci.
L’accession à la parole est donc le graal et la violence symbolique, l’instrument permettant de limiter cette accession, instaurant un rapport de domination. L’avènement des réseaux sociaux permettant de disposer d’un média accessible au plus grand nombre, le plus grand nombre devrait logiquement accéder à la parole. La réalité est tout autre : les cartes sont simplement redistribuées.
Illustration de cette violence avec le Racing Club de Lens
Oui, « violence » et « Racing club de Lens » sont deux termes antinomiques. Oui, le gentil Racing n’a pas l’habitude de défrayer la chronique, de s’afficher en une des journaux pour des faits de hooliganisme ou autres débordements caractérisés ! Et pourtant, force est de constater que dans notre beau « Félix Bollaert Delelis » la violence est omniprésente, elle sommeille dans chaque recoin et ne demande qu’un espace, qu'une une faille pour se répandre.
Le Racing fédère, bien au-delà de ses frontières symbolique du Pas-de-Calais (je suis bien placé pour le savoir, un petit coucou de la montagne). Il représente donc une communauté (la fameuse #TeamLens sur twitter par exemple). Or comme dans toute communauté, des tensions, des joies, des liens permettent de structurer les membres. Au-delà, des rapports de domination s’installent et le prisme des réseaux sociaux peut servir de lorgnette pour contempler tout ça.
Dans le cas précis du supporterisme sur les réseaux sociaux, le rapport de domination s’effectue entre les agents possédant « les codes scolaires » (capital culturel) permettant de s’exprimer convenablement sur les différents réseaux sociaux. S’opposant à ceux, dominés, qui sont dépourvus de ces codes et qui ont du mal à transcrire virtuellement leur passion. Or si dans le stade les chants sont les mêmes pour tous et que l’on peut sauter dans les bras de son voisin pourtant inconnu 90 minutes plus tôt, face à l'ordinateur les masques tombent, les différences s’accentuent et les coups pleuvent.
Du moins c’est ce que j’ai pu constater, modestement et de manière parcellaire. Un système à deux vitesses se met en place. D’une part sur Facebook, la grande majorité des supporters dont une bonne partie pas très « à l’aise » avec les « codes scolaires » et une minorité, toujours prête à les reprendre de volée.
Et d’autre part sur Twitter, une très petite minorité, à l’aise avec lesdits codes conversant en « bonne société » qui n'hésite pas, là aussi, à gentiment railler nos amis supporters s’exprimant sur Facebook. Étonnamment le Twitter « lensois » semble d’ailleurs encore réservé à une « élite des supporters », un entre soi plutôt cosy (preuve en est la très bonne et intéressante rubrique « le match vu de Twitter » sélectionnant des tweets, tous de bonnes factures).
Dans un contexte social difficile, L’ex bassin minier qui rayonne autour de la ville de Lens est le bassin d’emploi le plus pauvre de France. Les statistiques sociales, sanitaires et médicales glacent le sang, tout comme celles du décrochage scolaire. Le tissu industriel est en déliquescence et le chômage atteint des records. Et bien que notre cœur vibre à la vue des couleurs sang & or, il est logique qu’une grande majorité de fidèles soit maladroite (pour ne pas dire plus), et le fait de le leur souligner aussi vertement ne peut qu’engendrer frustration et complexe.
Le goût des autres
Cet article ne se veut en aucun cas moralisateur ni sorti du pays de Candy où tout est rose et idyllique. Je ne suis pas sociologue et mon constat ne se base sur aucune étude empirique fiable. Simplement je soulève une interrogation : n’existe-t-il donc pas une certaine dissonance entre l’apparence du peuple lensois uni, comme lors de l’ouverture de la ligue 2, et la réalité ? Moi qui me suis copieusement marré en lisant certains posts facebook et qui n’hésite pas non plus à tancer certains joueurs qui m'exaspèrent, je pointe simplement du doigt une situation étrange : Pourquoi dissocier le fond de la forme ?
J’ai l’impression que, si la forme n’est pas au rendez-vous, les propos seront forcément discrédités. A l'inverse, faut-il nécessairement prendre au sérieux un propos sous prétexte qu’il est bien amené ?
En guise de conclusion, disons ceci : pour pouvoir dire « j'aime le foot », il faut pouvoir intellectualiser la chose si l'on ne veut pas passer pour un con. Une manière pour les classes aisées de se justifier de leur goût pour un sport pratiqué par les pauvres et pour les pauvres.
C'est de la « gentrification sportive ».