Le dîner de cons doit cesser
En choisissant de jouer le quart de finale RC Lens-Bordeaux à 17h, le mercredi 17 avril, la Fédération Française de Football a réussi à se mettre à dos l'ensemble du peuple sang et or, qu'ils soient supporters d'une association ou simple sympathisant. Une contestation dont les asso' doivent se saisir pour communiquer sur la stigmatisation dont elles sont victimes depuis le début de la saison.
En choisissant un horaire stupide qui n'arrange ni le clubs, ni ses supporters, la FFF et France Télévisions ont réussi à faire déborder la Coupe de France. Événement populaire qui rassemble l'ensemble d'une famille football de plus en plus confrontée à un clivage pro / amateur, elle aura réussi le pari depuis une paire d'années à rendre l'événement quelconque en le programmant au milieu de la semaine, entre deux journées de championnat.
L'épuration sociologique des tribunes
Toutes proportions gardées, toutes les révolutions commencent par un événement déclencheur qui canalise l'ensemble du ras-le-bol d'un groupe de personnes. Si contester pour un horaire semble une chose peut être futile aux yeux de beaucoup, cela vient couronner une saison ou la stigmatisation des supporters aura pris un rythme industriel. Nous avions déjà pointé les abus dont ont été victimes les supporters dans notre carte interactive "supporters ! Muselière !". Entre le parcage-déchèterie des supporters du PSG a Toulouse, la perte d'un œil d'un supporter montpelliérain suite à un tir de flashball et l'interdiction d'entrée dans le stade de France aux spectateurs vêtus d'un maillot du PSG, la LFP et la FFF ont décidé de faire le ménage en vue de l'Euro 2016.
Afficher Supporters ! Muselière ! sur une carte plus grande
Le match de quart de finale de Coupe de France sonnait comme le point d'orgue de la saison du peuple sang & or qui a eut peu l'occasion de se réjouir depuis le début du championnat. L'annonce de l'horaire est donc la source d'une énorme déception chez le douxième homme.
Paradoxalement, dans le discours des ennemis du supporterisme organisé revient continuellement la nécessité de préserver l'ambiance des tribunes, d'attribuer aux supporters le rôle d'animateurs des travées. La représentation qui est faite des supporters est comparable à celle de François Pignon dans le dîner de con de Francis Veber : acteur indispensable selon les dires, la considération à son égard est nulle. Poil à gratter du foot français, pas forcément enclin à consommer, souhaitant une reconnaissance des clubs et des autorités publiques comme acteur à part entière des rectangles verts, le supporter apparaît plus comme un fardeau qu'un atout lorsque sa conscience se politise.
Et pourtant, dans une société française prompte à applaudir les mouvements contestataires lorsqu'ils sont dans d'autres pays, il est intéressant de constater que les supporters sont les seuls groupes d'individus organisés, politisés et revendicateurs. Une conscience de classe en somme qui manque cruellement à d'autres pans de notre société et qui mériterait d'être pris en exemple de lutte plutôt que comme symbole d'exutoire de la bêtise et de la violence.
Vu comme cela, n'est-il pas plus facile de comprendre la chasse aux sorcières chez les supporters ? Qu'un groupe d'individus partageant un corpus d'idées est perçu comme un danger contrairement à un individu isolé
?
C'est en cela que l'expérience "Offrez un horaire décent au match Lens-Bordeaux" apparaît comme intéressante puisqu'elle dépasse les conclaves des associations pour toucher plus facilement d'autres individus, esseulés mais pas forcément moins concernés et moins touchés par la stigmatisation des supporters. Un vivier de sympathisants sur lequel doivent s'appuyer les associations afin de peser sur les autres acteurs du football français.
Seul contre tous ?
À commencer par le club lui-même. Dans cette affaire, mis à part les mots du coach Éric Sikora ("un horaire à la con") et la déception de Luc Dayan, le RCL n'a pas montré plus d'enthousiasme au combat. Il faut dire que lorsqu'un club voit ses supporters se révolter, il a souvent le cul entre deux chaises, coincé entre la nécessité de soulager des supporters historiques et fidèles et une réalité économique oú 2/3 des revenus proviennent des droits TV et vous coupent toutes envies de révolte.
Ce modèle économique castrateur empêche les clubs de rejeter clairement le diktat des diffuseurs en matière d'horaire et de programmation. En 28 journées de championnat de Ligue 1, le PSG aura fait l'objet de 26 diffusions décalées, donnant le droit à une diffusion privilégiée qui sera sanctionnée par une redistribution plus importante des droits TV aux termes de la saison.
C'est aujourd'hui cette manne financière émanant des diffuseurs qui éloignent de plus en plus les clubs de leurs supporters.
Politiquement, les supporters ne peuvent pas attendre non plus un quelconque soutien, coincé entre une droite sécuritaire, un PS au pouvoir qui élude la question et une gauche radicale où l'influence freudo-marxiste a conduit à considérer le football comme la version moderne de l'opium du peuple.
Médiatiquement, hormis certains sites indépendants (So Foot, Cahiers du Football), la manière dont les supporters sont traités n'est pas à l'ordre du jour.
Que reste-il alors ?
De la nécessité de se regrouper
Vous l'aurez compris, les supporters ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se faire entendre. Que cela soit en Football ou dans d’autres phénomènes de société, l’individualisme exacerbé a conduit à la dissolution d’un sentiment d’appartenance à une culture collective. La chasse aux sorcières dans les rangs des supporters français qui a lieu en ce moment est symptomatique de cette volonté du système de se confronter à des individus isolés et non à un regroupement d’individus. En abolissant les liens entre des personnes partageant un corpus idéologique commun, il est alors plus facile d’imposer sa loi.
D’une certaine manière, c’est ce qu’ont compris les supporters de football allemand en acceptant la mise en place de Fan Projektevisant à réunir autour d’une même table les pouvoirs publics, les forces de l’ordre et les supporters. En reconnaissant qu’il existe des idées communes aux différents supporters d’Outre-Rhin, cette démarche a permis de responsabiliser les associations et de les mettre en relation avec les institutions et les acteurs locaux.
Selon Ludovic Lestrelin et Nicolas Hourcade dans le livre vert du supportérisme, cette synergie a facilité la mise en place de la Fédération Européenne des Supporters en 2008, regroupement visant à promouvoir une culture positive du supportérisme. Le diagnostic partagé a permis également d’éviter une envolée des prix lors de la rénovation des stades allemands pour la Coupe du Monde 2006. Aujourd’hui, le taux d’occupation des stades en Bundesliga est proche de 90% et cette dernière est présente comme un modèle à suivre.
En France ? Nada. Il aura fallu attendre la grave blessure du dénommé Casti par la police pour que les Ultras s'organisent et laissent de côté leur différence le temps d'un défilé. Dans les discours que nous avons recueillis ici et la, il est pourtant difficile de laisser les vieilles rivalités de côté, même si il en va de la survie d'un supporterisme français. Une entité supranationale aurait pourtant plus de poids à l'échelon national et permettrait d'imposer un interlocuteur unique aux pouvoirs publics afin de faire entendre sa voix en termes de sécurité mais également billetterie ou aménagement des stades.
Une réflexion fédéraliste indispensable si les supporters ne veulent pas - comme François Pignon - être considéré comme des hurluberlus construisant des maquettes avec des alumettes. Et puis, à être considérés comme des cons disposant du matériel nécessaire, autant foutre le feu non ?