Plaidoyer pour un football français apaisé
Les pouvoirs publics tapent sur les supporters, les clubs menacent de faire grève, Evra pète un plomb à Telefoot, Noël Le Graet bafoue sa fonction sur Cash Investigation et l'impopularité du foot français ne cessait de grimper. WOOOOOH.
La France n'est pas une terre de football au sens où ce sport n'est pas solidement ancré dans notre culture populaire comme ça peut être le cas en Angleterre ou en Allemagne. Une certaine indifférence de façade qui devrait conduire à considérer ce sport comme tout autre sujet de société. Oui, mais voilà, la France du foot n'est plus à un paradoxe près puisqu'elle entretient une relation essentiellement conflictuelle avec le rectangle vert.
Le rapport conflictuel que l'on a au football est l'héritage de notre conception bipartite de la société. À la critique d'un football professionnel nanti et privilégié propre à une conception égalitaire de gauche s'oppose la défense des valeurs et du patriotisme dont la droite s'avoue volontiers garante et dont la sélection nationale est censée être le porte-drapeau. Impossible donc de ne pas considérer ce sport en France par un autre prisme que celui du conflit permanent.
Evra m'en tombe*
La tension est donc toujours latente, surtout lorsque les résultats ne suivent pas sur le terrain. Il suffit donc d'une étincelle comme a pu l'être l'interview de Patrice Evra ce dimanche pour que l'incendie se déclenche.
L'exercice de communication en roue libre de l'arrière latéral français ressemble plus à un traquenard télévisuel, car à une véritable volonté de remettre les pendules à l'heure avec ses détracteurs. Interrogé de prime abord sur Frank Ribery, le journaliste de Telefoot insiste promptement sur le désamour dont souffre le Mancunien en France.
>>> Voir le papier de Jérôme Latta sur le blog du Monde "une Balle dans le pied" : La contre-attaque suicide de Patrice Evra
Sur le fond de cette interview, si l'on comprend le ras-le-bol dont peut souffrir Evra, nous sommes en droit d'attendre de lui qu'il n'offre pas aussi gracieusement la confiture aux cochons. Guidé par la stricte nécessité économique, le monde médiatique est obligé de s'aligner sur des thèmes porteurs, mais racoleurs : WAG, insolite et conflit.
2 millions de téléspectateurs pour le #CFC... Encore un score colossal. Merci qui ?
— Cyril Linette (@CyrilLinette) October 21, 2013
Ce qu'Evra lâche ce week-end, c'est du pain béni. Car si la diatribe est un exercice qu'affectionnent particulièrement certains journalistes, elle est souvent unilatérale. Offrir une certaine forme de résistance comme l'a fait Patrice Evra est assez rare pour que la plupart des personnes incriminées saisisse la balle au bond. Les agresseurs de la semaine Courbis, Fernandez ou Menès deviennent donc les victimes du dimanche. Il y a d'ailleurs un certain plaisir à voir ces derniers couvrir Evra des griefs qu'on leur assigne fréquemment.
L’élément de langage “pas le bon timing”
Derrière le réflexe corporatiste qu’ont eu certains, il faut noter l’intervention de Riolo, non concerné par l’attaque du joueur de ManU et dont les interventions sont à la hauteur de sa déception de ne pas être considéré par Evra comme un élément perturbateur important. Riolo est le gardien d’une vision “droite populaire” du football : respect des valeurs éthiques traditionnelles (voir son ouvrage Racaille Football Club) et partisan d’un modèle économique libéral. Il est donc logique que l’idée même que “la déclaration d’Evra nuira à l’équipe de France dans la course à la qualification” émane de lui.
Bien sûr, cela n’a aucun fondement. Evra n’attaque ni les autres joueurs de la sélection, ni le sélectionneur, au cours de l’interview il apparaît même parfaitement dévoué à la tâche qui est d’emmener les Bleus au Brésil. On ne voit d’ailleurs pas en quoi les joueurs seraient concernés par ses propos qui s’apparentent plus à un règlement de compte personnel qu’à une dénonciation d’un problème au sein de l’équipe de France.
Bref, cela n’a pas empêché pléthore de collègues du poujadiste de RMC de reprendre cet élément de langage digne d’un parti politique. En reprochant par avance à Evra d’affaiblir l’équipe de France, on génère plus l’actualité qu’on ne la commente. Cette dérive visant à passionner et à dramatiser l’actualité est certainement le point le plus dégoûtant de cette affaire. Le véritable ennemi de l’équipe de France n’est pas Evra, mais bien ceux qui creusent la tombe de la sélection avant d’avoir joué le match. Ils sont générateurs de tension et ne manqueront pas de la communiquer dans leurs entretiens et points presse avec l’équipe.
La bêtise de Patrice Evra n’a d’égale que la conviction qu’ont ses détracteurs de disposer d’une vérité qui ne souffre d’aucune contestation. Malheureusement pour le défenseur, il ne pourra pas lutter contre le système médiatique, car ces derniers auront toujours une tribune accessible pour avoir le dernier mot. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas conscience de n’être qu’un rouage interchangeable de la grande machine de divertissement. Le temps fera toutefois son office.
Pierre Ménès a une personnalité beaucoup trop clivante pour perdurer. Sa volonté de se lancer dans une carrière cinématographique (en tant qu'acteur et réalisateur) accélérera son déclin et ne manquera pas de le décrédibiliser. Son manque de tact ne le met pas à l’abri d’un écart.
Daniel Riolo, en glissant doucement vers une droitisation de son point de vue, suivra la même voie qu’un Robert Ménard, un mélange des genres que ne permet pas le politiquement correct de ce milieu.
Crever la bulle
Quoi qu’il en soit, l’intervention d’Evra et le ramdam qui a suivi rajoutent une pierre supplémentaire à l’édifice chancelant de la crédibilité du football français. Clément Guillou de Rue 89 a très bien résumé la situation grotesque dans laquelle se trouve l’ensemble du foot français : sélection et clubs réunis. Evra et ces journalistes influents partagent au moins un point commun : celui d’être dans une bulle opaque qui les empêche de se rendre compte de l’incompréhension et de la colère qui naissent dans l’opinion publique suite à leurs décisions et déclarations . Si le sondage qui conduit plus des ¾ des Français à ne pas aimer leur sélection nationale est à prendre avec des pincettes, il n’en reste pas moins révélateur de l’influence des Menès et consorts sur la vox populi.
En tant que personnalité publique, Evra a le devoir de peser chacune de ses interventions sous peine d’être générateur de tensions. Cette obligation devrait également être tenue par ces journalistes qui ont - à l’instar de la FFF - une charte éthique professionnelle à respecter. Malheureusement, nécessité économique fait loi.
Espérons que chacun aura l’intelligence de ne pas venir parasiter les Bleus avec des problèmes d'ego qui ne concernent ni le groupe France ni la grande majorité des journalistes sportifs. A l’heure où la sélection monte en puissance et montre des signes de satisfaction, il serait de bon ton de faire profil bas de chaque côté.
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* Ce jeu de mots lumineux vous est offert par Antoine Placer