Furiani ou l'hospitalité corse
J'ai pris l'avion pour la Corse, j'ai vu du soleil, j'ai vu des Corses, ils étaient sympas, j'ai discuté avec eux, j'suis allé à Bastia, j'ai encore vu des Corses, j'ai mangé d'la charcuterie, elle était trop bonne : "Oh! Trop bonne votre charcuterie!". J'ai rediscuté avec eux, ils étaient toujours sympas, j'suis allé à Furiani, j'ai vu d'autres Corses, ils étaient moins sympas, voire même pas sympas du tout du tout. J'me suis demandé ce que ressentait un gladiateur dans une fosse aux lions, j'ai ressenti la même chose. Bref, j'suis allé à Furiani.
J'ai pris l'avion pour la Corse, j'ai vu du soleil, j'ai vu des Corses, ils étaient sympas, j'ai discuté avec eux, j'suis allé à Bastia, j'ai encore vu des Corses, j'ai mangé d'la charcuterie, elle était trop bonne : "Oh! Trop bonne votre charcuterie!". J'ai rediscuté avec eux, ils étaient toujours sympas, j'suis allé à Furiani, j'ai vu d'autres Corses, ils étaient moins sympas, voire même pas sympas du tout du tout. J'me suis demandé ce que ressentait un gladiateur dans une fosse aux lions, j'ai ressenti la même chose. Bref, j'suis allé à Furiani.
Bon, on va pas garder ce ton là, sinon vous allez vite lâcher, mais j'voudrais juste vous faire partager mon expérience. J'essaierai de vous relater les faits tels qu'ils se sont déroulés, tels que je les ai ressentis, et en toute honnêteté...
Après avoir pris un déjeuner, sur le port, avec mon amie, on se dirige vers Furiani. Un horaire un peu spécial, 14h30, mais un stade que je rêvais de découvrir depuis longtemps. Réputée pour son atmosphère électrique, c'est comme un gamin que je me dirige vers l'antre bastiaise, située au milieu d'une zone d'activité commerciale. J'aime ces matchs où il règne un véritable esprit d'affrontement. Le chambrage, la pression, font parti de ce jeu, du rôle que se doit de jouer un supporter, et le 12ème homme, à Bastia, a sa réputation.
Habituellement, un parking visiteur nous est réservé. Ici, il n'y en a pas et le seul parking du stade est vite rempli, il faut se garer plus loin, sur les bords de la 2x2 voies... que vous devez traverser à pied, entre des voitures limitées à 110km/h. Nos couleurs sont cachées, la sécurité du Racing Club de Lens ainsi que les services de police locaux nous ont vivement déconseillé ce déplacement, et recommandé la plus grande vigilance dans le cas où nous souhaiterions nous y rendre malgré tout. Après la voie rapide, c'est la voie ferrée que vous devez traverser... toujours à pied, toujours sans aucun dispositif sécurisant, que ce soit au niveau des infrastructures qu'au niveau du personnel : aucun steward, aucun agent des forces de l'ordre, rien. Arrivés au stade, ce sont deux agents de sécurités lensois qui s'occupent de dire au stadier local si oui ou non nous sommes bien des supporters du Racing. Je discute un peu avec ce dernier, il me propose d'aller voir un type à coté d'un 4x4, il vend un bouquin qui vient de sortir, sur l'histoire du Sporting. Intéressé, j'y vais, mais il me dise qu'il n'y en a pas... du moins, pas pour moi.
On passe la palpation... ah bin non en fait, malgré le faible nombre de Lensois, seul un sur deux aura droit à un contrôle, bizarre pour un match classé à risque. Bizarre aussi l'absence de billetterie, juste une dame à qui on paie en liquide et qui range l'argent dans sa poche... 10€ quand même. En L2, les places en parcage sont généralement à 5€... bref. On part s'installer en tribune, on prend le temps de dire bonjour, que des habitués, comme souvent dans ce genre de très longs déplacements. En m'asseyant, j'entends mon siège craquer, j'ai tout de suite compris qu'au moindre petit mouvement de foule, les sièges ne résisteraient pas, un peu comme à Boulogne, il y a trois ans.
Ah ces sièges... ça fait 14 ans qu'on rabâche qu'ils sont inutiles voire même dangereux dans les parcages et les kops, est-ce qu'un jour les supporters seront entendus? Le coup d'envoi approche et c'est donc, comme de coutume chez tous les supporters actifs, sur les sièges que l'ont s'installe, histoire de prendre un peu de hauteur, l'impression que nos chants seront mieux portés... on n'sait pas, c'est instinctif en fait. Puis on aperçoit, dans la tribune latérale voisine, un drôle de personnage. Saviez-vous qu'on pouvait venir avec ses deux chiens dans une enceinte sportive professionnelle? Je n'ai pas vérifié les textes à vrai dire, je n'en sais rien, c'est tout de même assez... m'empêche qu'ils ont mis leur beau costume Médor et Rex, les stadiers ont du croire que c'étaient des enfants? Une question me vient à l'esprit... quand on sait que même un nourrisson doit payer sa place, qu'en est-il des chiens?
Le match commence et les concerts aussi. Furiani est chaud, ça fait même plaisir de voir une ambiance pareille, d'autant plus dans un stade ouvert. Mais fidèle à sa réputation, le parcage lensois donne de la voix, et ce n'est pas du goût du voisinage... De droite, de gauche ou d'au-dessus, on reçoit un peu de tout... pièces - parfois même de 2€! Personnellement, j'ai ramassé 2,70€, de quoi me payer un verre à mon retour - , noisettes, cacahuètes sucrées, gobelets de coca, ballon rempli d'eau - enfin, on espère que ce n'était que de l'eau - , briquets ou encore quelques petites pierres. Pour accompagner ce concours de lancer de tout, quelques intimidations : "Oh fermez là un peu, on peut pas regarder le match" dit un bastiais qui passera tout le match à nous insulter plutôt qu'à le regarder, ce fameux match... Bon, ça c'était gentil encore, quoique le ton employé et la haine qui se lisait dans ses yeux était déjà troublante.
Puis Lens ouvre le score, et les hostilités démarrent réellement. "Pédophiles", "Consanguins!" - de la part de gens qui veulent ne se reproduire qu'entre eux, c'est paradoxal, mais bon, on est habitué et on ne prête pas attention à ces provocations - "On vous attend derrière à la fin du match!" Mais le parcage continue dans la bonne humeur, c'est pas tous les jours qu'on mène au score, qui plus est à l'extérieur, alors on savoure, et on s'exprime par nos chants et nos gestuelles, jusqu'à la grecque qui mettra le feu aux poudres... Pour les non-initiés, on se prend par les épaules, et on saute... sur des sièges qui ne demandaient qu'à se déboîter. Une bonne vingtaine d'entre eux ne résisteront pas, ce qui a le don d'énerver les stadiers locaux. De bonne foi, et pour notre sécurité, on évacue les sièges endommagés afin qu'ils puissent être récupérés par le service de sécurité bastiais. Tentant de calmer le jeu en leurs expliquant que c'était involontaire et que c'est partout comme cela, ils me rétorquent que chez eux, ils ne se mettent pas debout sur les sièges. Certes, mais chez eux, ils balancent des pièces sur les voisins? Bref... Histoire d'apaiser les tensions, ces stadiers brandiront les sièges tels des trophées aux autres tribunes, histoire de faire monter un peu la haine des gradins proches contre les gladiateurs que nous sommes, dans ce qui ressemble de plus en plus à une fosse aux lions.
Second but lensois, euphorie en parcage... de courte durée. La domination lensoise, et l'expression de notre joie ne fait pas plaisir à Furiani, et le ton est de plus en plus menaçant... et personne n'est dispensé, du père de famille présent avec ses gamins, aux pré-adolescentes, des insultes et des menaces plus violentes au fur et à mesure. "On va vous saigner, sales gaulois, vous n'êtes pas chez vous ici, c'est pas la France ici"... Ça dérange moins les bastiais, pourtant, d'évoluer dans le championnat de... France. Les jets de projectiles continuent, évidemment, des fillettes de 12 ans déblatèrent des grossièretés plus choquantes les unes que les autres avec l'approbation des parents, et le parcage, malgré le score de 2-0 pour les siens, se tait... un sentiment d'insécurité gagne l'ensemble des supporters lensois présent, on se demande vraiment où on a mis les pieds... Cette pression que l'on aime tant n'est pas vivable car elle est malsaine. De la haine pure et dure, et sincère, pas de respect ou aucune dignité, pas de quoi vivre sereinement la suite du match malgré un match que les Sang et Or ont bien en main. On se sent dans un lieu dépourvu de toute civilisation, au milieu de sauvages.
Bastia réduit le score par Maoulida - lui qui n'a pas du cadrer plus de 5 frappes la saison passée avec nous... - et Furiani s'enflamme, dans le sens positif cette fois-ci. Ce stade est quand même plus sympa quand il clame sa ferveur que sa haine, et il est bougrement efficace. La mi-temps arrive, et une quinzaine de stadiers se ruent vers le parcage avec la volonté d'en découdre avec les supporters lensois... On ne comprend pas trop... Le meneur lâchera "vous cassez encore un seul siège, on vous pète la gueule!" ... sympa de la part d'un personnel censé assurer notre sécurité. Les deux agents de sécurité lensois, présents en parcage, réussiront à repousser l'assaut et les ramener à la raison. C'est auprès de ces agents que l'on se renseigne sur l'évacuation d'après match... "- Ça marche comment? Comme d'habitude? - J'espère que ce sera beaucoup mieux que d'habitude..." Rassurant, d'autant qu'il nous confie que le directeur de la sécurité bastiais reste étrangement injoignable et qu'aucun dispositif de forces de l'ordre n'était prévu à la base... une brigade de CRS s'est finalement mise en route depuis Corte à la demande de la sécurité du RCL, afin d'assurer l'intégrité des joueurs et des supporters lensois. Mon amie me confiera qu'elle était à ce moment, au bord des larmes. Avec elle, j'ai été à Lille, Lyon, Marseille ou Paris sans aucune crainte, là, on se sent mal.
La seconde mi-temps sera très tendue de notre côté, les chants ne veulent plus sortir, seuls trois ou quatre seront entonnés durant ce temps. Le Sporting égalise dans un stade en ébullition, du coté des ultras, à l'autre bout du stade, les bombes agricoles retentissent régulièrement depuis le début de la rencontre. Bien bruyants, ils entraînent avec eux l'enceinte bastiaise et apporte un soutien précieux à leur équipe. Le match est aussi tendu sur le terrain, les bagarres sont régulières et l'arbitre ne semble pas vouloir calmer les esprits. Un ballon perdu viendra atterrir en haut du parcage et fera voler en éclat un siège, comme pour prouver aux services locaux leur mauvaise foi quant à la qualité de leurs installations. Puis vient l'égalisation, avec une faute flagrante sur Baal... pression ou véritable maladresse de l'arbitre? On sait juste que ce dernier n'a qu'une faible expérience... pas un cadeau donc, de devoir officier dans une antre qui a connu 5 rapports en 6 matchs cette saison. En parcage, on se pose des questions. Comment la situation a-t-elle pu à ce point se dégrader pour nous et nos couleurs? Sous la pression des joueurs bastiais, Serge Aurier réclame de l'aide à ses supporters, il ne se doute pas de la peur qui s'est installée en nous. Peut-être étions nous un peu paranos, et que les intimidations n'étaient qu'un jeu, mais on peut vraiment parler de peur.
Viens la fameuse bagarre qui a fait le tour des médias. Les 5 ou 6 autres précédentes, on en parle pas, pas assez houleuses pour la presse. De là où nous sommes, on voit des stadiers venir des tribunes sauter sur le terrain, et il nous semble que des ultras ont également passé le grillage de la tribune pour prendre part à la "fête". Pendant ce temps, en latérale, certains tentent de détacher la bâche d'un groupe de supporters lensois, devant l'oeil complice des stadiers qui interdisent l'accès à cette partie du parcage, au groupe en question. Devant les proportions prises par les événements, les agents de sécurité lensois sont contraints de rejoindre le vestiaire afin de protéger les joueurs... nous laissant entre les mains des stadiers bastiais qui attendent un petit rien pour nous montrer où nous sommes. Le match se termine, les insultes et projectiles n'ont, pendant ce temps, pas cessé. Et elles ont même pris de l'ampleur en cette fin de match. Les menaces sont réelles et d'une forte violence tout comme les invitations à la baston, et même des stadiers ou secouristes se mêlent aux menaces. L'un d'entre eux dira avec un sourire mesquin : "j'espère que vous courez vite..."
15 minutes plus tard, environ 200 bastiais attendent notre sortie, les CRS ne sont pas encore présents. A leur arrivée, les bastiais chargeront les forces de l'ordre à l'aide de manche de pioche ou de ballasts, ainsi que des bombes agricoles. Un peu tardivement, je décide de filmer la scène, vous apercevrez dans la première vidéo la fumée dégagée par une BA ainsi que des individus masqués qui tentent de repousser les CRS. Le commissaire de Police sera blessé à la tête, il pissait le sang. Sur la seconde vidéo, le gros du bataillon corse est dispersé :
Un peu avant 18h, un responsable local des services de police viendra nous assurer que la voie est presque libre, conseillera de privilégier le taxi aux transports en commun, et d'éviter le port et le vieux port "surtout n'allez pas là bas, c'est là qu'ils sont, ils ont bien bu, ils sont bien chauds, et ce sont des malades ici, ils vous feront la peau s'ils vous reconnaissent, même si vous ne les cherchez pas."
On retourne finalement à la voiture, en traversant la 2x2 voies à 110km/h, et, avec mon amie, nous poursuivrons notre séjour en Corse de manière beaucoup plus paisible, et l'accueil fut irréprochable... en dehors de Furiani.
La pression doit exister, les rivalités doivent être entretenues, mais le respect de son prochain, et l'humanité se doivent de rester des valeurs universelles du football et du sport en général. Il n'y a rien de footix à penser cela. Des cons, il y en a partout, et même à Lens il y en a beaucoup, mais cet après-midi là, dans ce stade là, j'en ai vu plus qu'il ne fallait coté SCB. Tous les Bastiais ne sont pas à mettre dans le même sac mais les mauvaises graines semblent plus nombreuses, du moins, plus visibles à Furiani, où même le service d'ordre sème le désordre et où rien n'est fait pour assurer un accueil digne aux joueurs, dirigeants et supporters. On lit ou entend déjà, de chaque coté, des promesses de vengeances au match retour. J'espère simplement que la raison l'emporte, et que Bollaert ne tombera pas dans l'escalade de la connerie, et encouragera les siens comme il en a la très bonne habitude, et que Lens montre aux Bastiais ce que sont des conditions d'accueil décentes, des conditions que n'importe quel club professionnel digne de ce nom, se doit de mettre en oeuvre.